30 mars 2009

Systemic

Systemic est le mot important de la crise financière, et certainement une des clés pour travailler à la sortie de crise.
Que signifie que la crise a eu un caractère systémique ? Deux points importants peuvent être identifiés. Tout d'abord, le risque que la défaillance d'un établissement financier puisse entraîner dans sa chute de nombreux autres établissements, du fait de la taille de son bilan et des nombreuses contreparties impliquées. Ainsi, les autorités américaines ont considéré que la défaillance de AIG aurait eu un caractère systémique, et qu'il ne fallait donc pas la laisser se produire. Inversement, la faillite de Lehman n'a pas été considérée comme telle, à tort ou à raison. De fait, aucune banque n'a fait défaut suite à la défaillance de Lehman; par contre, on a observé la fermeture du marché du crédit interbancaire, ce qui a représenté le deuxième aspect du caractère systémique de la crise : le marché ne fonctionne plus.
Il ne s'agit pas d'une absence de régulation : la crise s'est développée sur les segments peu réglementés, ainsi que sur les marchés très réglementés. Mais remarquons que la réglementation n'adresse pas les risques extrêmes. Pour les institutions financières, les exigences de fonds propres sont calculées par des mesures de risques fondées sur la VaR, Value at Risk, donc sur une probabilité de perte calculée statistiquement sur des conditions normales de marchés. Dans les situations de krach, on observe à la fois 3 facteurs qui se conjuguent : 1) une variation des cours d'une ampleur extrêmement peu probable, de l'ordre de 6 à 10 écart-types habituels, ce qui correspond à une probabilité inférieure à 1 sur 1 million; 2) une très forte hausse des volatilités, à relier au point précédent; 3) une recorrélation des actifs, qui fait que la diversification perd de son intérêt. Point supplémentaire, l'absence de liquidité sur les marchés, voire la fermeture complète de certains marchés. Dans ces conditions, la VaR explose à la hausse, donc les exigences de fonds propres, avec comme première conséquence la nécessité absolue de clôture immédiate des positions.
Que faire pour remédier à ce type de risque, qui jusqu'à maintenant n'avait pas été réellement envisagée ? Les réflexions et les travaux sont en cours, et ce sera l'un des enjeux du sommet du G20 à Londres dans quelques jours.
Les professeurs de finance de la New York University ont publié récemment un travail important à ce sujet, dont vous pouvez lire un résumé ici.
Par ailleurs, le secrétaire au Trésor Tim Geithner a présenté le 26 mars devant la Chambre des Représentants les grandes lignes de son plan, qui va être la base des propositions américaines au sommet du G20.
Parmi les points à retenir, notons la création d'une structure de régulation dédiée spécifiquement à l'identification et à la surveillance des risques systémiques, au niveau des marchés comme des grandes institutions financières; puis l'émergence d'une norme obligeant à faire des provisions pour l'hiver, c'est-à-dire mettre de côté des fonds propres supplémentaires quand les marchés sont peu exigeants, de façon à pouvoir les utiliser quand les conditions deviennent adverses.
Politiquement, observons que c'est le plan américain qui est annoncé, qui est destiné à être appliqué aux Etats-Unis, et qui va servir de base aux discussions du G20. La coordination internationale se fera à partir de ce plan. Les propositions européennes ou françaises sont plus discrètes. On ne parle chez nous que de faire la 8ème réforme des stocks options en 8 ans, en affirmant comme à chaque fois la nécessité absolue de les « moraliser ». Il est vrai qu'il est plus facile et plus porteur politiquement de dénoncer les hauts revenus que d'expliquer ce qu'est le risque systémique et les moyens à mettre en oeuvre pour le gérer.

16 mars 2009

Bilan vs compte de résultat

Les récents propos du dirigeant de Citigroup sur la rentabilité de la banque sur les mois de janvier et février ont mis le feu au poudre de la hausse.
Soudain, le marché s'est rendu compte que les banques ne se caractérisaient pas seulement par des actifs pourris, mais aussi par une forte rentabilité opérationnelle.
Celle-ci se comprend aisément, sur l'activité traditionnelle de prêt. Avec une banque centrale qui alloue des liquidités gratuitement en quantité illimité, le coût de financement de la banque diminue fortement. Avec cet argent, la banque prête à ses clients avec une marge de crédit qui a très fortement augmenté : 1ère source de gain. De plus, les taux court terme étant proches de 0, la pentification de la courbe des taux procure une deuxième source de gain, par l'activité de transformation. Le compte de résultat, en instantané, se porte donc très bien, sous réserve bien entendu des provisions qu'il faudra constater si des emprunteurs font défaut. La remontée des spreads suffira-t-elle à compenser la hausse du risque ?
Par ailleurs, sur les activités de marché, on observe depuis le début de l'année une certaine stabilisation avec une baisse des volatilités réelles, tandis que les volatilités implicites, les spreads de crédit et autres indicateurs de risques restent à des niveaux élevés. Pour les banques d'investissement, il n'y a pas pire comme situation que celle où les volatilités implicites courent après la volatilité réelle du marché, comme à l'automne 2008; au contraire, la situation la plus profitable est celle observée actuellement.
Si cela va mieux pour le compte de résultat, le bilan n'est pas encore guéri, et les problèmes ne concernent pas que les actifs pourris.
Prenons le cas d'une entreprise industrielle bien notée, qui en 2007 a émis un emprunt obligataire avec un spread de 100 pb, et simultanément a emprunté auprès de sa banque avec la même marge d'intérêt, sur la même maturité et avec le même coupon.
Aujourd'hui, l'obligation se traite avec un rendement plus élevé de 300 pb, du fait de l'écartement des spreads de crédit. Avec une maturité de 5 ans par exemple, on a une sensibilité d'environ 4, ce qui veut dire que l'obligation a perdu 12 %.
Que doit faire la banque pour la valorisation de son prêt ? En valeur de marché, il n'y a aucune raison, par un simple raisonnement d'arbitrage, qu'il soit valorisé plus que l'emprunt obligataire équivalent. Si la banque veut sortir cet actif de son bilan, elle le vendra 12% de moins que sa valeur bilantielle. Si elle entend le garder jusqu'à l'échéance, il devrait être remboursé sans problème, étant donné la qualité de l'emprunteur. Que faire donc: provisionner ou pas ?
On voit donc qu'en valeur de marché, même des actifs de bonne qualité mériteraient une décote. Avec un ratio de fonds propres de 8%, si l'on provisionne 12% même sur les actifs de bonne qualité, la banque n'a plus de fonds propres. Et que dire alors pour les actifs de moins bonne qualité qui ont perdu la moitié de leur valeur. Et pourtant son activité quotidienne peut être hautement rentable !
On n'a pas fini de se poser des questions sur la valeur des banques.

Le début de la fin ?

La reprise des marchés cette semaine a eu pour catalyseur les propos du patron de Citigroup, affirmant la rentabilité de la banque depuis le début de l'année.
Après une chute de plus de 50% des grands indices, on peut en effet se demander si l'on ne s'approche pas du début de la fin de la baisse.
Je regarde régulièrement un indicateur publié par Edward Yardeni : indicateur très simple qui suit l'évolution du résultat opérationnel anticipé sur l'année à venir pour les composants du SP500, les 500 plus grandes entreprises américaines.
Cet indicateur est remis à jour toutes les semaines, avec les révisions des prévisions des analystes financiers. Il est calculé sur l'année à venir, en faisant la moyenne pondérée par le temps des prévisions pour les années 2009 et 2010 actuellement.
La lecture de la courbe nous montre que le point haut a été atteint en octobre 2007, et qu'il coïncide avec le top du marché. Le brutal décrochage de septembre 2008 est à rapprocher du krach des marchés depuis cette période.
Si les anticipations de bénéfice continuent à baisser, on voit mal ce qui ferait remonter les marchés, sauf à avoir une forte hausse des PER. La hausse des PER ne pourrait être motivée que par une diminution de la prime de risque des marchés actions; l'évolution des spreads de crédit nous montre que cette prime de risque ne diminue pas.
Par contre, pour la première fois depuis 6 mois, la courbe des anticipations de résultats semble se stabiliser. Si cela se confirme dans les semaines à venir, alors l'élément fondamental de la baisse des cours sera à son terme. Dans ce cas, on s'approche du début de la fin de la baisse.