30 septembre 2009

Lundi, 14h50

Lundi, 14h50. Comme chaque semaine, l'Agence France Trésor a émis ce 28 septembre
des BTF, Bons à Taux Fixes sur des maturités de 1, 3, 6 et 12 mois, pour un total de 9,2 milliards d'euros. Ce montant a servi, pour presque 9 milliards, à rembourser les BTF venant à échéance ce même jour. Et tous les lundis, l'AFT émet ainsi, en l'espace de 5 minutes, entre 9 et 10 milliards de ces titres de dettes à court terme, dont l'encours est actuellement de 200 milliards. Aucune difficulté pour émettre cette dette : les investisseurs se bousculent, l'Etat ne paye que 0,37% de taux d'intérêt pour les BTF 3 mois. Pour fixer les choses par rapport au budget, rappelons que le total des dépenses en 2009 est de l'ordre de 350 milliards, avec un déficit prévisionnel de 141 milliards, selon la dernière estimation, soit environ 68% de déficit budgétaire. Le Trésor dépense donc environ une trentaine de milliards par mois. D'où la question, très hypothétique : si l'AFT ne peut pas emprunter ses 9 à 10 milliards hebdomadaires pour assurer la trésorerie courante, en combien de temps l'Etat se trouve-t-il en défaut ? Je le répète, la question est très hypothétique car, pour le moment, les investisseurs du monde entier se bousculent pour prêter à la France, même pour une faible rémunération. Mais la question n'est pas théorique : qui aurait imaginé, il y a un an, que les grandes banques seraient dans l'impossibilité de se financer au jour le jour sur le marché interbancaire ? La crise survient toujours là où on ne l'attend pas.
Lundi prochain, 5 octobre, le total des BTF venant à échéance sera de 7,8 milliards. L'AFT viendra sur le marché pour lever entre 9 et 10 milliards. Entre 14h50 et 14h55, mes voeux iront aux investisseurs du monde entier qui viendront acheter, et j'aurai un petit pincement au coeur en espérant que tout se passe bien, comme d'habitude.

14 septembre 2009

99,99%

99,99% des gens ne comprennent rien aux problèmes du système bancaire ni aux éventuelles solutions possibles pour y remédier.
Et je dois humblement reconnaître que je ne pense pas faire partie du 0,01% composant le cercle des savants. Cela étant, je m'abstiens de joindre ma voix aux clameurs des bruyants liberticides qui estiment que la solution aux problèmes passe par l'interdiction de, pêle-mêle : les bonus, les hedge funds, les paradis fiscaux, les ventes à découvert, les produits dérivés, la titrisation, voire la spéculation ! Craignons que ces histrions ne sollicitent Poutine, afin que celui-ci leur loue les sibériens camps de rééducation à régime sévère, où les récalcitrants aux programmes de moralisation de la finance seraient expédiés pour retrouver le droit chemin.
Mais quittons les steppes glacées de l'orient russe, et revenons à nos banques occidentales et à leur incertaine régulation.
Faut-il modifier les règles prudentielles, jeter à bas les modèles internes de Bâle II, renforcer les fonds propres, pour toutes les banques ou pour celles d'importance systémique seulement, obliger à constituer des coussins de provisions en période de vaches grasses, réintroduire un ratio de levier maximum, remettre en vigueur le Glass-Steagall Act afin de séparer les banques commerciales d'avec les banques d'investissement, boucher les trous de régulation, créer une instance de supervision internationale ? Toutes les idées sont sur la table, et quand on lit les multiples contributions et les solutions divergentes proposées, il est clair qu'on est dans le temps de la réflexion, et que celui-ci ne doit pas être escamoté.
Quelques idées simples à garder en tête.
- Lorsque les actifs d'une banque perdent 30 à 50% de leur valeur, il n'y aura jamais assez de fonds propres en face pour éviter la ruine, car les ratios de capital, et c'est heureux, ne seront jamais fixés à ce niveau. C'est heureux car avant qu'une banque puisse lever suffisamment de fonds propres pour en avoir 50%, elle commencera par réduire très fortement la taille de son actif, donc des prêts accordés, au détriment de l'activité économique. Le problème est à l'actif avant d'être au passif.
- Néanmoins, les banques ont besoin de renforcer leurs fonds propres. Pour faire venir de nouveaux actionnaires en promettant une rentabilité structurellement plus faible qu'à la belle époque 2005-2007, il conviendra soit de démontrer que le risque est notoirement plus faible, soit de baisser le prix d'émission des titres. On a coutume de mettre en avant les énormes profits réalisés par les banques ces dernières années. Ce que l'on oublie de rappeler, c'est que les marchés valorisaient ces profits assez faiblement, en terme de PER par exemple, ce qui signifie que leur pérennité ne paraissait pas évidente, alors que le risque qui y était attaché était perçu comme bien présent. Heureusement que les actionnaires sortaient en dividendes une bonne part de ces bénéfices : ils avaient bien compris qu'a contrario, laisser des fonds propres supplémentaires à disposition n'aurait conduit qu'à augmenter le risque.
- Quoiqu'on en pense, le marché sait très bien se discipliner lui-même. Je n'ai pas vu ces derniers temps fleurir beaucoup de titrisations de crédits subprime, notés AAA, et logés dans des conduits hors bilan se refinançant à court terme en émettant des ABCP. Autre exemple, si la rentabilité des fonds propres bancaires est amenée à baisser structurellement, les bonus distribués suivront le même chemin, selon l'équilibre des forces en présence dont j'ai parlé dans mon post précédent. Nul besoin d'instaurer des limites maximum, qui risqueraient d'agir comme des points d'attraction.
Dernier point, on n'échappera pas à une remise en cause des systèmes de gestion des risques, ceux-ci se trouvant au coeur de la banque. Jusqu'où aller sur ce terrain, et en particulier faut-il aussi remettre en question les modèles d'évaluation qui en sont le soubassement théorique? Bien malin qui peut à ce stade y répondre.
Pour ma part, je souhaite que le prochain G20 ne cède pas à la tentation d'afficher des compromis boiteux ou d'exhiber à toute force des résultats pour satisfaire l'opinion publique. Il serait plus sage de dire : réfléchissons, travaillons, prenons le temps qu'il faut.

04 septembre 2009

Profits des banques et bonus des traders


J'ai longtemps hésité avant de donner mon grain de sel et d'écrire un post sur Le Sujet à la mode : les bonus des « traders ». Mettons des guillemets à « traders », car la pratique des bonus ne concerne pas qu'eux, mais plus globalement une bonne partie des opérateurs des banques de financement et d'investissement (BFI ou investment banks).
Je ferai deux remarques, étant entendu que j'épargnerai à mon lecteur la complainte sur la soit-disant 'immoralité' du système.
Tout d'abord, il est assez compliqué de savoir si cette pratique favorise réellement une prise de risque « excessive ». En effet, je ne comprends ce que veut dire ici l'adjectif excessif. Si une banque prend des risques importants, elle doit mettre en face les fonds propres correspondants. Cela veut dire que si le risque pris est considéré comme excessif, c'est que soit le régulateur n'a pas fait son travail, en exigeant de la banque qu'elle ajuste ses fonds propres à due proportion, soit que le risque mesuré n'est pas cohérent avec le risque réellement supporté. Dans ce deuxième cas, comme c'est également le régulateur qui valide les modèles internes de mesure du risque des banques, on en conclut qu'il a également failli. Je ne vois donc pas le lien avec les bonus. Bien entendu, la question des systèmes de mesure des risques se pose avec acuité, et toute crise la replace au centre des débats; voir Mandelbrot, Minsky, Taleb, etc...
Deuxième point, si l'on se demande ce qu'il faut pour faire fonctionner une investment bank, la réponse est simple : du capital et des hommes (et femmes). Le capital permet de prendre les positions et de faire du levier; plus il est important, mieux on se porte. Le capital humain, celui qui part tous les soirs en sortant de la banque, prend les décisions d'investissement. Comme il peut partir définitivement pour aller faire travailler les fonds propres d'une autre banque, lesquels ont la même couleur et la même odeur, il s'agit de faire ce qu'il faut pour le garder. Il y a donc un problème de gouvernance. Les actionnaires d'une banque, qui apportent le capital, sont tentés de garder les profits pour eux, soit en se les distribuant, soit en les laissant en fonds propres dans la banque, en espérant dans ce cas que ces fonds propres supplémentaires génèreront une aussi bonne rentabilité (ajustée du risque). Mais pour cela, ils doivent rémunérer leurs salariés, qui veulent aussi leur part, sachant qu'ils peuvent du jour au lendemain partir ailleurs faire travailler les fonds propres des autres s'ils sont plus généreux. La situation est donc hautement compétitive. Dans ce type de négociation, où il est difficile de dire a priori quelle partie à l'avantage sur l'autre, on peut raisonnablement penser qu'au final le produit sera partagé 50 – 50 entre les deux parties. En observant la répartition chez Goldman Sachs, où les employés sont aussi des actionnaires importants, on s'aperçoit que c'est justement ce partage à égalité du profit qui est globalement mis en oeuvre. Donc l'idée de payer les bonus en actions aurait à mon avis plutôt tendance à pousser les bonus à la hausse.
En conclusion, si vous pensez que limiter les bonus permettra de limiter les risques de crise, vous faites à mon avis une grossière erreur : vous évaluez bien mal le risque.