16 octobre 2012

La volatilité a disparu

Ce graphique représente l'évolution du VIX, l'indice de volatilité implicite des options sur l'indice SP500, tel qu'il est calculé par le CBOE à Chicago.
Il est surnommé l'indice de la peur, car il monte fortement en période de tensions sur les marchés : on l'a vu vers 80 fin 2008; il était encore à 35 il y a un an; il oscille maintenant entre 12 et 15. Les politiques monétaires des banques centrales, QE3 aux Etats-Unis et OMT en zone €uro, ont eu pour principal effet de supprimer le risque systémique, conduisant à un apaisement des craintes sur les marchés, et donc à une baisse du VIX, et de ses homologues européens et français : VCAC sur le CAC40.
Si la volatilité a disparu du marché des options, cela ne signifie pas pour autant que le risque a disparu !
Une faible volatilité est souvent le prélude à des épisodes de fortes tensions. J'ai en particulier le souvenir de l'été 1991, lointaine époque, où la volatilité implicite était inférieure à 10 pour les options sur l'indice CAC40. Quelques semaines plus tard, l'invasion du Koweit par les troupes de Saddam Hussein changeait la donne !
Je me suis posé la question de savoir si, dans les périodes de marché calme, la volatilité relative était élevée ou non : peut-on trouver des périodes de fortes volatilités, comparativement à l'allure générale du marché ?
J'ai fait tourner mon tableur sur la période 2005 - 2011 pour calculer la volatilité du CAC40, et les résultats sont instructifs : que l'année soit très calme, comme en 2005, ou très agitée, comme en 2008, on trouve des proportions équivalentes de valeurs extrêmes.
Pour chacune des 7 années de 2005 à 2011, j'ai calculé l'écart-type des variations quotidiennes, à partir des cours de clôture, grandeur que j'ai annualisé pour donner une estimation de la volatilité de l'année.
Si les variations quotidiennes suivent une loi normale, selon l'hypothèse de base de la théorie des marchés financiers, on a alors une probabilité de 4,6% d'avoir une variation supérieure à 2 écarts-type, et une probabilité de 0,3% pour une variation supérieure à 3 écarts-type.
Pour une année boursière de 255 jours de cotation environ, on devrait donc avoir 11 à 12 journée avec des écarts supérieurs à 2 écarts-type, et moins d'une occurrence pour une variation supérieure à 3 écarts-type.
Quant à une variation de 5 sigmas, qui a une probabilité de 0,00003%, elle ne devrait pas se produire à l'échelle de la vie humaine.
Comme on peut l'imaginer, la réalité des marchés est toute autre ! En particulier, la variation maximum est proche de, ou supérieure à 5 écarts-type chaque année.




2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011










Ecart type

0,449% 0,600% 0,684% 1,871% 1,096% 1,055% 1,210%










Volatilité annuelle

7,164% 9,567% 10,896% 29,881% 17,499% 16,921% 19,360%










3 écarts type

1,346% 1,801% 2,051% 5,614% 3,288% 3,166% 3,630%
4 écarts type

1,794% 2,401% 2,735% 7,485% 4,383% 4,222% 4,840%










Max

2,54% 3,18% 3,27% 11,18% 5,73% 9,66% 6,28%
Max / écart type

5,65 5,29 4,78 5,97 5,23 9,15 5,19


Pour chacune des 7 années boursières, ce tableau donne l'écart-type des variations quotidiennes, la volatilité annualisée, la valeur de 3 et 4 écarts-type, la plus grande variation quotidienne au cours de l'année, enfin le rapport entre cette plus grande variation et l'écart-type.
La période couvre une année à très faible volatilité : 7,164% pour 2005, ainsi qu'une année à très forte volatilité : 29,881% pour 2008.
Il est frappant de constater que le rapport entre la variation maximum et l'écart-type est similaire pour 2005, avec 5,65, et pour 2008, avec 5,97 !
Pour 2005, on a 41 variations supérieures à 2 sigmas, soit 16,3% des variations (probabilité de 4,6% selon la loi normale); 18 variations supérieures à 3 sigmas, soit 7% des variations (probabilité de 0,3%) et encore 6 variations supérieures à 4 sigmas, soit 2,3% des observations.
En conclusion de cet exercice, on constate que les variations exceptionnelles sont beaucoup plus fréquentes que ce que donnerait la loi normale gaussienne: fat tail, black swan, cela est bien connu pour les périodes de fortes tensions sur les marchés. Ce qui peut sembler plus surprenant, mais ne l'est pas pour un praticien des marchés, c'est que  l'on retrouve les mêmes comportements de volatilité dans les périodes calmes.
Finalement, la volatilité n'a pas disparu : elle reste la même, seuls ses atours ont changé.

03 octobre 2012

Guérir la maladie infantile de l'€uro

Les fameux critères, définis il y a 20 ans pour se qualifier pour l'€uro, étaient au nombre de 3 : un déficit public inférieur à 3% du PIB, une dette publique inférieure à 60% du PIB, et une inflation inférieure à 2%.
Depuis la création de l'€uro, le niveau de l'inflation, sous la responsabilité de la BCE indépendante, est restée sous les 2%, tandis que les dettes publiques et les déficits, sous la responsabilité des Etats, ont allègrement dépassé les limites permises. La barre des 3%, normalement un maximum, est maintenant pour la France un objectif difficile à atteindre.
Pour quelles raisons les Etats n'ont-ils pas respecté les limites fixées par eux-mêmes ? Si l'on veut comprendre le fonctionnement de l'économie en un seul mot, c'est  : INCENTIVE, l'incitation.
Posons-nous donc la question : quelles étaient les incitations des Etats pour respecter ces critères, et a contrario, quelles étaient les incitations pour ne pas les respecter ?
Pour se motiver à respecter des règles fixées par eux-mêmes, les Etats ont prévu de s'auto-punir en cas d'infraction, la punition étant une amende fixée selon un montant supposé dissuasif. Le système est pervers et schizophrénique : si on applique la sanction, on renforce la faute que l'on est censé corriger ! Par ailleurs, imagine-t-on le gouvernement d'un pays voter des sanctions qui vont exacerber ses difficultés économiques, financières et fiscales ? Ce serait un suicide politique. Troisième point, du fait de la corrélation des économies européennes, il y a une forte probabilité que plusieurs pays soient en faute ensemble. Dans ces conditions, on comprend qu'il est peu probable que les pays décident ensemble de se punir.
Les incitations mises en place, non seulement limitent le risque de la punition pour un seul fautif, mais en plus incitent tous les participants à fauter ensemble, ce qui réduit encore plus la probabilité de la punition. La règle mise en place avec l'€uro favorise son non-respect : bel exemple d'une incitation perverse !
De plus, la convergence des économies favorisées par la mise en place de l'€uro entraine le phénomène du passager clandestin : certains profitent du système (transferts financiers, taux d'intérêt bas), sans en payer le prix en terme de bonne gouvernance.
Alors que s'approche la saison des prix Nobel, j'ai relu ce qu'écrivait le Professeur AUMANN, Prix Nobel d'économie en 2005 pour ses travaux sur la théorie des jeux, et en particulier des jeux répétitifs. La répétition peut créer la coopération, sous certaines conditions. En particulier, il faut que la punition en cas de comportement non coopératif soit crédible, et en deuxième lieu que le taux d'actualisation implicite ne soit pas trop élevé, auquel cas les participants ont une forte préférence pour le cours terme qui ne les incitent pas à se montrer coopératifs à long terme. Vous trouverez ici la vidéo de sa leçon du 08-12-2005 à l'occasion du Prix Nobel, et ici le résumé de sa présentation (en anglais également); le thème en est l'application de la théorie des jeux à la compréhension de la guerre et de la paix.
Comment donc faire pour corriger les incitations, de façon à ce que les pays participant à l'€uro respectent leurs propres règles ? Il faut d'une part que la coopération des autres soit certaine si un pays se montre coopératif (= respecte les règles de gouvernance financière), et d'autre part que la sanction soit automatique et suffisamment dissuasive.
Cela nous amène à la solution imaginée par Super Mario, à la tête de la BCE, pour trouver une solution afin de guérir l'€uro : OMT, Outright Monetary Transactions, telle qu'annoncée le 6 septembre. Sous réserve qu'un pays en difficulté s'engage à respecter les règles = le programme d'ajustement et de gouvernance (FESF/MES), alors la BCE s'engage à acheter de façon illimitée les titres de dette publique du pays, lui assurant ainsi son financement, et à un coût acceptable. En cas de non respect des règles, la BCE décide, à sa discrétion, l'arrêt de l'achat de la dette, ce qui fait remonter le coût de financement, voir le rend impossible.
Le terme essentiel est bien entendu celui de conditionnalité. C'est le caractère automatique et crédible de la sanction qui va inciter au respect de la règle. La théorie des jeux rationalise bien la situation.
Pour plus de réflexion sur OMT, lisez cette analyse de Christopher MAHONEY.
Dans la pratique, la communication de la BCE va être essentielle. Si le pays, disons l'Espagne, coopère, alors la BCE achète,et les marchés achètent aussi : Olé !
Si le pays est moins coopératif, moins respectueux du programme, les marchés vont commencer à jouer sur l'attitude de la BCE : va-t-elle menacer publiquement, va-t-elle arrêter d'acheter sans le dire, va-t-elle arrêter d'acheter en le disant mais sans menacer au préalable ? Qui sait ? Les marchés pourront alors tester l'adhésion de la BCE à ses règles.
Pour le moment, Mariano RAJOY joue le passager clandestin : il profite des bienfaits de l'OMT futur, grâce à la baisse des coûts de financement, sans en supporter les conditions. Mais cela ne pourra pas durer bien longtemps.
Pendant ce temps en France, on discute sur le vote de la règle d'or, fruit de l'imagination de notre cousine Angela : votons une règle stricte, et elle sera respectée. De tout ce qui précède, chacun aura compris la futilité de cet exercice : que la règle d'or soit inscrite dans la constitution, soit une loi organique ou un autre instrument légal ne change rien. Elle ne sera respectée que si les incitations vont dans le bon sens. Un peu de patience : avec la trajectoire actuelle, c'est la France qui, après l'Espagne, devra jouer OMT.