La première doit consentir un
investissement de 1000 pour réaliser 100 de chiffre d'affaires et
donc un résultat de 40; la deuxième affiche 1000 de chiffre
d'affaires avec un investissement de 100, toujours pour le même
résultat de 40.
Quelle est la plus rentable ? Ca dépend
par rapport à quoi !
La première affiche une confortable
rentabilité d'exploitation de 40%, mais un maigre 4% de rendement
des capitaux investis. C'est l'opposé pour la deuxième, avec 4%
seulement de marge d'exploitation, mais 40% de rentabilité des
capitaux investis.
Ami investisseur, entre l'une ou
l'autre, ton cœur (et ton portefeuille) balance …
Et les conclusions de ton raisonnement
ne seront pas les mêmes selon que tu es apporteur de capitaux en
fonds propres ou en dette, et selon la structure financière de
l'entreprise, plus ou moins endettée.
Le modèle économique de la première,
c'est la concession autoroutière, tandis que celui de la seconde est
plutôt une entreprise de distribution ou de construction.
Justement, un grand groupe français,
VINCI, combine le modèle de la concession et celui de la
construction.
Plongeons-nous à la page 32 du rapport
annuel 2013 de VINCI.
Le chiffre d'affaires de Vinci
Autoroutes est de 4596 M€, pour un résultat opérationnel de 2031
M€, soit 44,2%. Haro sur les bénéfices plantureux des autoroutes
! Quelques lignes plus bas, on apprend cependant que les capitaux
engagés sont de 22840 M€, dégageant donc une rentabilité de
8,9%.
Pour sa part, le pôle Vinci
Construction réalise un CA de 16775 M€, et un résultat
opérationnel de 680 M€, soit une marge de 4,1%, dix fois plus
faible que celle des autoroutes. Mais les capitaux engagés sont
négatifs de 450 M€, avec même un excédent
financier de 2167 M€, alors que le pôle autoroutes supporte un
endettement net de 15387 M€, soit 3 ans et demi de CA. Bravo nos
entreprises de construction, qui équipent notre pays en beaux
bâtiments publics et multiples rond-points !
Les deux modèles économiques sont
opposés.
Les autoroutes nécessitent un coût
d'achat de la concession, et des investissements lourds qui vont
dégager des flux réguliers pendant une longue période, avec un
faible risque opérationnel. De son côté, la construction a besoin
de peu d'investissements; elle facture et constate sa marge à
l'avancement des travaux, après avoir perçu un acompte au lancement
du chantier. De plus, elle paye ses sous-traitants avec des délais
d'autant plus longs que les chantiers sont sources d'interminables
litiges, générant des retenues à proportion. Le besoin en fonds de
roulement est donc négatif : le cycle d'exploitation génère du
cash pour l'entreprise, d'où l'excédent financier et les capitaux
investis négatifs. Mais quelles difficultés pour bien planifier un
chantier complexe, et ne pas voir les coûts, ainsi que les
provisions, s'envoler !
Les risques sont également différents.
Pour les autoroutes, la gestion financière est essentielle : si le
coût de la dette diminue, le résultat financier s'en trouve
amélioré. Remarquons donc que les profits des sociétés
d'autoroutes bénéficient amplement du bas niveau des taux d'intérêt
de la BCE, laquelle contribue ainsi, outre aux bénéfices des
sociétés autoroutières, à la relance bienvenue de l'activité. Le
deuxième risque est règlementaire : quelles sont les conditions
d'exploitation de la concession, et les contraintes qui y sont
attachées ? Enfin, le CA est étroitement corrélé à l'activité
économique : transports professionnels et déplacements privés.
Pour la construction, il convient
d'abord de décrocher les contrats, donc de savoir bien répondre aux
appels d'offre. Puis le risque d'exécution est primordial, une fois
qu'on a obtenu le contrat.
En alliant ces modèles opposés, VINCI
arbitre les risques. Cette belle entreprise française est un leader
mondial.
Tout va bien jusqu'au jour où, en
s'appuyant sur un raisonnement erroné fondé uniquement sur la
rentabilité d'exploitation, la puissance publique envisage de
bafouer les contrats signés en remettant en cause les conditions des
concessions autoroutières. Les investisseurs ont vite intégré le
risque lié à l'arbitraire de l'Etat : le titre Vinci a perdu 25%
depuis son plus haut du mois de juin.
Le plus piquant de l'histoire, c'est
que pendant que la sémillante ministre de l'écologie jette à la
vindicte publique les profits des autoroutes et envisage de violer la
signature de l'Etat, l'entreprenant ministre de l'économie affirme
qu'il faut investir dans les infrastructures pour relancer la
croissance, tandis que l'austère ministre des finances soutient
qu'il ne faut plus augmenter l'endettement.
Suggérons à Jean TIROLE, notre
nouveau prix Nobel d'économie, de réunir ces trois brillants
ministres pour leur expliquer ses sujets de recherche préférés,
ceux pour lesquels il vient d'obtenir son prix, et qui s'appliquent
si bien aux autoroutes !