27 mai 2006

From Russia with love

Pour échapper aux griffes de Mittal, Arcelor a choisit le baiser russe. D'un point de vue stratégique et industriel, l'opération Severstal se compare correctement à ce que propose Mittal, mais sans donner d'avantages décisifs. Dans cette industrie sidérurgique encore peu concentrée, toute alliance est bonne à prendre si elle ouvre de nouveaux marchés, clients, et gammes de produits, crée des perspectives de synergies par les best practices, élargit l'accès aux matières premières et renforce la position par rapport aux vendeurs de minerais. Chacune à sa manière, Mittal et Severstal sont deux opérations bénéfiques.
Ce qui est choquant dans la fusion avec Severstal, c'est la manière. La Bourse, juge de paix ultime, a fait baisser Arcelor de 3%, seule valeur du CAC40 en baisse dans une séance en hausse de près de 2%. Quelques jours auparavant, quand Mittal avait amélioré son offre, Arcelor avait gagné 10% : sans commentaire.
Vous connaissiez Alexey Mordashov ? Une rapide recherche google donne quelques articles, qui dressent le portrait d'un brillantissime manager de 40 ans, devenu propriétaire de Severstal dans les conditions des privatisations russes des années 90, et qu'il a ensuite superbement développé. C'est aussi un fidèle supporter de Poutine, qu'il a largement soutenu électoralement lors des campagnes de 2000 et 2004, en particulier grâce à sa main mise sur les media locaux. En bref, le parfait oligarque bien en cour.
Alexey Mordashov apporte à Arcelor ses 89% dans Severstal, en échange de nouveaux titres émis sur une valeur de 44 euros, soit 30% de plus que le cours. Il paye également 1,25 milliards d'euros en cash, pour acquérir au total 32% d'Arcelor. Mais s'il cède ses intérêts économiques dans Severstal, il garde 25.01% des droits de vote, ce qui lui laisse une minorité de blocage selon la loi russe. Mordashov devient vice président non exécutif d'Arcelor, mais président du comité stratégique : il aura en particulier la haute main sur les décisions de croissance externe. Autant dire que les conflits d'intérêts entre Severstal et Arcelor sont évidents.
A.Mordashov prend-il le contrôle d'Arcelor ? Avec 32% des droits de vote, une vice présidence du CA et le pouvoir de nommer 6 administrateurs sur 18, peut-être pas. Dans la réalité, il aura de façon certaine la majorité absolue en AG, et le pouvoir stratégique, qu'il entend mettre en oeuvre immédiatement selon ses premières déclarations. S'il y a changement de contrôle, alors il devrait y avoir OPA : les minoritaires doivent pouvoir sortir à 44 euros, prix auquel s'effectue le changement de contrôle. Rien de tel : Guy Dollé et son CA ne se sont jamais illustrés par leur prise en compte des intérêts de leurs actionnaires, et c'est le même mépris qui préside à cette opération.
J'ai regardé avec attention la conférence de presse réunissant Kinsch, Dollé et Mordashov : contraste saisissant entre les deux vieillards à la voix peu assurée et la force qui émanait du jeune russe ambitieux. A un journaliste qui demandait à Guy Dollé son avis sur la baisse du cours d'Arcelor au moment de l'annonce, il répond qu'il n'a pas encore fait de road show pour expliquer l'opération, et que ces bienfaits ne sont donc pas encore compris. En clair, les analystes financiers sont des andouilles, ils n'ont rien compris à la présentation qui leur a été faite le matin même, et il faudra leur bourrer le mou individuellement pour les remettre dans le droit chemin de la compréhension orthodoxe.
Le moment d'anthologie de cette conférence de presse, où j'ai d'ailleurs trouvé les journalistes bien peu curieux, a été la réponse de Mordashov à une question sur l'origine de sa fortune. Il a expliqué d'abord qu'elle s'était construite sur les privatisations de l'époque, selon les règles du moment, puis a utilisé une image saisissante : imaginez une caravane de chameaux, dont il était le dernier; à un moment la caravane a fait demi-tour, et il s'est retrouvé le premier ! Heureux homme, dont le destin s'est joué à un demi-tour de chameaux ...
On a vu que Mordashov paye 1,25 milliards cash. Vraiment ? Dans un mois, Arcelor va mettre en oeuvre son OPRA, à un prix non encore fixé mais qui peut aller jusqu'à 50 euros. Imaginons que Arcelor rachète 100 millions de titres à 50 euros, soit 5 milliards, financés par de la dette. Si Mordashov garde sa participation au même niveau, il doit apporter 32 millions de titres, soit 1,6 milliards d'euros; il aura déjà gagné 350 millions, réalisé une plus value en un mois, le tout financé par l'augmentation de l'endettement d'Arcelor. Très brillant le garçon, on vous disait. Si Mordashov n'apporte pas ses titres à l'OPRA, sa participation augmente à 36% environ. Changement de contrôle justifiant une OPA ? Que nenni, pauvre actionnaire, Arcelor est de droit luxembourgeois, il n'y a pas d'obligation de dépôt d'une OPA passé le tiers du capital. Mordashov s'est juste engagé à désintéresser les minoritaires s'il passe 45% des droits de vote. Pas de risque, il a déjà le contrôle.
3ème problème, la gouvernance. L'engagement de Mordashov est de proposer 6 administrateurs sur 18, et de voter en AG selon les recommandations de conseil d'administration. Question : s'il ne tient pas ses engagements, perd-il ses droits de vote ? Arcelor peut-il répondre sur ce point, par exemple en rendant public le contrat ? J'en doute.
Dernier point, qui montre encore le peu de cas que la direction d'Arcelor fait de son actionnariat : les conditions de réalisation de l'opération. Il est prévu une assemblée générale, mais celle-ci ne pourra rejeter l'opération Severstal que si 50% des droits de vote TOTAUX d'Arcelor, et non pas des droits de vote représentés à l'AG, s'y opposent. Comme les AG d'Arcelor réunissent entre 30 et 35% des actionnaires, le vote contre est impossible. Arcelor, dans son communiqué de presse, met l'accent sur ses meilleures pratiques en terme de gouvernance d'entreprise, et notamment sur l'égalité 1 action, 1 vote. Mais ici, les voix taisantes des absents pèsent plus lourd que celles exprimées des présents ...
Quant à notre gouvernement, non actionnaire, qui dans sa grande impartialité s'était élevé contre l'offre de Mittal, lequel ne comprenait rien à la grammaire des affaires, il ne trouve cette fois-ci rien à dire. Breton a considéré que l'opération était amicale, et Villepin a estimé qu'il n'était pas dans le rôle du gouvernement de s'immiscer dans ce type d'affaire. Tant pis pour les minoritaires. Le fait que l'opération ait reçu l'onction de Poutine lors d'une rencontre récente avec Mordashov n'y est bien sûr pour rien. D'ailleurs, la seule personne que M. Kinsch ait chaudement remercié lors de la conférence de presse s'est trouvé être l'ambassadeur de Russie au Luxembourg, qualifié d'ami de longue date.
Bons baisers de Russie !

18 mai 2006

Le marché à l'équilibre : 1/2 minute tous les 10 ans

C'est le message de ce jour énoncé par Alain Bokobza, chief strategist à la Société Générale, lors de la conférence sur les risques du marché actions organisée par PRMIA (Professional Risk Managers International Association), dans le cadre somptueux du George V.
Quelques points importants à retenir de son exposé :
- Le sentiment optimiste des marchés est équivalent à celui du début 2000, ce qui est un facteur de risque.
- Il existe une relation entre le resserrement monétaire US et la baisse des marchés actions : la fin de l'action à la hausse de la FED est donc un signal fort pour la remontée du marché américain. De façon incidente, la fin de la surliquidité mondiale implique que la surperformance des actifs moins liquides est derrière nous.
- Même si la croissance des bénéfices est en ralentissement, le releverage des bilans des entreprises (augmentation de la proportion de dettes par rapport aux fonds propres) implique que les returns on equities, ROE, ne baisseront pas en proportion. C'est un facteur fondamental de soutien du marché actions. Ce releverage va entrainer une remontée des credit spreads, mais sans conduire à ce jour à plus de fragilité bilantielle.
-La période qui commence, avec plus d'incertitudes, entraine une remontée des volatilités, qui restent encore sous leur niveau moyen de long terme.

Le deuxième exposé, par A. Fleury, responsable de la gestion du book exotique, nous a donné quelques informations sur la cuisine interne de la SG.
Un point important à propos des risques : SG n'a pas de difficultés à transférer les nouveaux risques de son portefeuille, volatilité et corrélation par exemple, vers des intervenants extérieurs tels que hedge funds, réassureurs, voire institutionnels; il y a même plus de demande que d'offres. Par exemple, ces derniers jours, la volatilité implicite a peu monté malgré la chûte du marché, car il s'est trouvé suffisament de contreparties pour se positionner à la vente : rôle d'amortisseur des mouvements tenus par les hedge funds, contrairement aux idées (bien mal) reçues.
La capacité du marché à absorber et transférer les risques sur de nombreux intervenants est à mon avis un facteur anti crise systémique très significatif. Il reste bien sûr à voir ce qui se passerait dans les situations de crash test...
Pour revenir sur le titre de ce post, il me rappelle ce qui disait en substance Keynes : les marchés resteront en déséquilibre plus longtemps que vous ne serez solvables. A méditer par les adeptes des stratégies "back to mean".

16 mai 2006

Sell in May ... bis







L'adage boursier rappelé il y a quelques jours s'est finalement concrétisé. Le retournement des marchés s'est produit avec une belle unité : baisse générale des actions, retournement brutal des positions longues sur les commodities, légère reprise des bonds avec le flight to quality. Quelle a été la cause de ce tumulte ? La baisse du dollar est un facteur : elle pèse sur les actions européennes, en dégradant la position concurrentielle de Europa Inc, et en creusant les écarts négatifs de change; elle pèse aussi sur les titres US, car chaque baisse du $ relance les craintes sur les risques de vente de titres US par les détenteurs non résidents, déjà perdants avec la baisse des bonds.
Si on retourne en arrière de 3 semaines, l'éclatement du marché du CO2 e 25 avril, suite aux consommations réelles inférieures aux quotas déclarée par plusieurs pays de l'UE, a jeté un gros grain de sable dans la belle mécanique haussière des marchés. Très sportif le CO2 : on est passé en 2 semaines de 32 à 8 euros la tonne vendredi dernier, pour remonter aujourd'hui à 17 ! Pour essayer de comprendre ce qu'il s'y passe, lisez www.pointcarbon.com . Les amateurs peuvent trader facilement le produit avec le certificat de la SocGen, code 1291S.
Sur le CAC, la situation technique s'est bien dégradée, et ce n'est pas la petite reprise de ce jour qui y change quelque chose. Avec deux séances de baisse avec gap, le marché est moins joli. Un premier retracement de la hausse des 6 derniers mois nous ramènerait vers 4930, ce qui correspond au point bas de mars. Si le marché est plus lourd, on ira peut-être vers 4690, au plus bas de l'année. Dans ce cas-là, la tendance haussière sera bel et bien terminée . A suivre

12 mai 2006

GAZ / SUEZ : Coluche, reviens-vite !

La fusion entre "égaux" GAZ DE FRANCE / SUEZ me laisse sceptique : GAZ vaut 28, SUEZ 31 euros. Même avec 1 euro de dividende exceptionnel (fiscalisé à 40% ...), il manque 2 euros pour faire le compte. Comme disait Coluche, il y en a qui sont plus égaux que d'autres.
Une fois que la loi de privatisation de GAZ aura passé l'épreuve du Parlement et de la CGT, puis celle de l'antitrust à Bruxelles, qui dictera ses conditions en termes de désinvestissements, il restera l'épreuve de vérité : convaincre les actionnaires. Sur les parités actuelles, je ne suis pas près de donner mes SUEZ contre des GAZ : il manque au moins 2 euros à l'appel, qu'on me propose d'échanger contre des vagues promesses de synergies !
J'ai l'impression que je ne suis pas le seul à faire ce raisonnement. Le jeu reste ouvert. Après tout, Coluche était d'origine italienne, comme un certain ENEL ...

10 mai 2006

ISCAR / Warren BUFFETT


Le célèbre investisseur américain Warren BUFFETT, patron du fonds d'investissement BERKSHIRE HATHAWAY, vient de réaliser son premier investissement d'envergure hors des Etats-Unis en rachetant 80% du capital du Groupe ISCAR, , société israélienne parmi les leaders mondiaux dans les pièces pour machines outils. Cette transaction de 4 milliards de dollars valorise donc pour 5 milliards une société faisant un chiffre d'affaires d'environ 1,4 milliards $, et un bénéfice qui serait de l'ordre de 400 millions. ISCAR n'étant pas cotée, ses chiffres exacts ne sont pas connus.
Depuis 50 ans, Warren BUFFETT est le champion du "value investing", privilégiant les entreprises capables de dégager des cash flows récurrents sur longue période, et les business models qu'il comprend bien, dans une optique d'investissement à long terme.
Créée en Galilée en 1952 par Stef WERTHEIMER, le Groupe ISCAR s'est développé par autofinancement, dans le secteur des outils industriels, et reste entièrement détenu par la famille du fondateur jusqu'à cette opération. D'après les informations publiées, la transaction se serait conclue très rapidement, fondée sur le partage de valeurs communes entre les deux dirigeants. Notons que le management d'ISCAR restera en place, avec toute latitude pour conduire sa stratégie, selon les termes de l'accord.
Conclue la veille de l'assemblée générale de Berkshire Hathaway, qui a réunit 24000 actionnaires et investisseurs dans l'Amérique profonde, cette transaction annoncerait un tournant dans la stratégie de Warren Buffett, dans le sens d'une internationalisation et d'une diversification du portefeuille vers d'autres devises.
Pour Israël, comme l'a noté Merril Lynch, la transaction est très positive : "The deal should boost both domestic and international investor confidence in Israel." La Bourse de Tel-Aviv a d'ailleurs salué l'événement avec une hausse de 2.7% de l'indice TA25 le 7 mai.
Coïncidence curieuse : l'opération est annoncée le jour même où le nouveau Premier Ministre d'Israël, Ehud Olmert, a pris ses fonctions. On se souvient que le dernier acte politique de l'ancien Premier Ministre, Ariel Sharon, quelques heures avant son accident cérébral le 4 janvier, a été de signer la privatisation de la Bank Leumi, la deuxième du pays, rachetée par un groupe d'investisseurs.

03 mai 2006

KKR

KKR, le géant américain du private equity et du LBO, a introduit ce jour sur Euronext Amsterdam un nouveau véhicule, destiné à donner à tous les investisseurs l'accès aux performances du private equity.
Valorisé 4 milliards de $ au prix d'introduction de 25 $, le titre a fini en baisse à 24,58 $, après un plus bas de 24,24 $. Pas très brillant pour un premier jour de cotation. L'idée de coter ce genre de véhicule n'est pas nouvelle. Récemment, APAX a introduit AMBOISE sur Euronext Paris, avec le même objectif d'ouvrir aux OPCVM et aux particuliers l'investissement dans le non-coté.
Le non coté connaît une forte expansion depuis quelques années. Le principe des LBO, Leverage Buy Out, consiste à racheter une entreprise en empruntant, puis à rembourser la dette de la holding avec les free cash flows dégagés par la société d'exploitation, en profitant du mécanisme d'intégration fiscale, sachant que les managers sont partie prenante au dispositif en investissant à titre personnel dans l'entreprise. Une étude récente publiée par la Lettre Vernimmen (partie 1 partie 2) montre que l'élément principal du succès des entreprises sous LBO provient de l'amélioration des performances opérationnelles, et non pas seulement de l'effet de levier de l'endettement, comme on pourrait le croire. La conclusion est que ce mode de gouvernance serait le plus efficace, du fait de la convergence d'intérêt des managers et des investisseurs, plus que ne peut l'être la cotation en Bourse.

02 mai 2006

Sell in May and go away

Je suis un grand amateur d'adages boursiers, et Sell in May and go away me parle tout particulièrement. J'ai commencé à travailler à la Bourse en mai 1987, et j'aurais été mieux inspiré de vendre ou de m'abstenir plutôt que d'acheter à tout va pour fêter mon arrivée. La période mai - octobre 1987 n'a pas été la plus flamboyante pour les détenteurs d'actions.
Selon ce dicton, le semestre mai - octobre est défavorable, au contraire de la période novembre - avril. Pour un adepte de la théorie de l'efficience des marchés, l'effet des saisons sur la Bourse fait sourire. Pour qui réfléchit à la finance comportementale, la question mérite d'être creusée.
Une étude du courtier américaine SSB donne des résultats peu concluants, la croissance économique sur la période étant un facteur plus important.
Par contre, une recherche faite par des chercheurs néerlandais publiée en 2001 par le Social Science Research Network établit que sur 36 des 37 cas étudiés, la période mai - octobre a été plus défavorable que l'autre, sans qu'un facteur explicatif soit mis en évidence.
Quel pronostic pour 2006 ? On vient de finir un semestre rayonnant, les taux d'intérêt remontent, le pétrole reste très cher, la géopolitique n'est guère sereine, et l'effet de mai n'a pas été très sensible ces 2 dernières années. Si on cherche de bonnes raisons de vendre, inutile de se creuser la tête bien longtemps. On aura certainement l'occasion d'en reparler