16 décembre 2009

Copenhagen, Shmokenhagen, suite

Je poursuis ma liste de réflexions sur le COP15 de Copenhague.
Cinquième question. On sait que sous le Protocole de Tokyo, un des principaux instruments destinés à réduire les émissions de CO² est le CDM, Clean Development Mechanism : les projets permettant une réduction des émissions de CO² dans les pays en voie de développement sont générateurs de crédits de CER, Certified Emission Reduction, achetés par des entreprises de pays développés pour tenir leurs engagements de réduction, sachant que 1 CER est équivalent à une tonne de CO². Le mécanisme est géré par l'UNFCCC, qui a mis en place les procédures. Dans chaque pays, c'est une DNA, Designated National Authority, qui gère le process, sachant que les projets sont audités par des DOE, Designated Operational Entities, parmi lesquels on trouve des grands noms de la certification tels que SGS et Bureau Veritas. A ce jour, 1952 projets CDM on été accrédités, devant générer 1,7 milliard de CER d'ici fin 2012.
Le principal bénéficiaire du CDM est la Chine, qui a ainsi engrangé plus d'un milliard de dollars avec ce système. Si vous vous plongez sur le site dédié de l'UNFCCC, vous constaterez que toutes les procédures sont extrêmement précises et détaillées. Mon expérience d'auditeur m'apprend toutefois que l'exhaustivité des procédures ne garantit ni l'absence d'erreurs, ni l'impossibilité de fraudes. D'où la question : parmi tous les CER attribués, contre espèces sonnantes et trébuchantes, combien correspondent à des réductions réelles, et combien à du vent ?
Sixième question. En fait, le système consistant pour des pays à prendre des engagements contraignants sur des limites ou des réductions a déjà été expérimenté dans un autre domaine, bien proche et bien familier de nous. Le Traité de Maastricht de 1993, qui a conduit à la création de l'euro, prévoit en effet des limites impératives au déficit public annuel, 3% du PIB, et à l'endettement public, 60% du PIB. La France n'a respecté le 1er critère qu'une année sur deux globalement; quant au 2éme, il est largement explosé depuis plusieurs années, et les prévisions les plus optimistes ne prévoient pas de revenir en-deçà d'ici 2020. Même chose pour les autres pays, le cas de la Grèce qui alimente actuellement la chronique nous le rappelle tous les jours. Ce sont pourtant des règles élémentaires de bonne gestion, et les pays de la zone Euro avaient même prévus des punitions budgétaires en cas de manquement à ces règles. On sait ce qu'il en est advenu : règles non respectées, punitions non appliquées ! On discute à Copenhague de savoir si on va limiter la hausse de la température en 2050, dans 40 ans, à 1,5° ou à 2°. Débat complètement psychédélique : les hypothèses sont incertaines, les modèles fluctuants, les résultats que l'on peut donc tirer sur 40 ans sont entachés d'une marge d'erreur plus que large. Et l'on sait de plus ce que peuvent peser des engagements de réduction, par exemple si une grande entreprise fait un chantage à l'emploi ou aux délocalisations. D'où la question : même si des accords sont pris lors de la réunion finale, qu'est ce qui nous garantit qu'il seront respectés, vérifiés et que les éventuelles sanctions prévues en cas de dépassement seront appliquées ?
En guise de conclusion. J'avais commencé ma discussion sur le thème de la religiosité. Comme dans les tragédies grecques où les humains sont le jouet des événements ourdis par les dieux, je constate avec amusement et délectation le tour pendable que nous prépare le dieu de la météo : la conférence consacrée au réchauffement climatique va se conclure par un froid polaire, sous d'abondantes chutes de neige !

06 décembre 2009

Copenhagen, Shmokenhagen

S'ouvre à Copenhague la grand messe des intégristes et des pieux dévots du réchauffisme. En tant que républicain laïc, j'observe avec un oeil mi amusé mi inquiet cet étalage de nouvelles croyances. Quelques réflexions viennent à mon esprit de financier, toujours en proie au questionnement et à la remise en question.
Première question. La crise financière que nous venons de vivre depuis 2 ans est fondamentalement une crise de modèle. Non pas du modèle capitaliste comme le pensent les benêts, mais des modèles sur lesquels est fondée la finance moderne depuis 50 ans, par des milliers d'universitaires, de chercheurs et de praticiens. Les modèles d'évaluation des risques, d'appréhension du risque systémique, sont centraux pour l'équilibre de nos économies sophistiquées. Les modèles cherchent à décrire la réalité, mais depuis 2 ans celle-ci s'est enfuie un peu plus loin que ne le prévoyaient les modèles. D'où la question : pourquoi les modèles de prévision climatique à 40 ou 100 ans seraient-ils plus robustes que les modèles de prévision des risques financiers à quelques semaines ou quelques mois ?
Deuxième question. Parmi les valeurs qui fondent notre identité nationale, je lis le mot "liberté" à la première place sur le fronton de nos mairies. Depuis la liberté de pensée chère à nos philosophes des Lumières du XVIII ème siècle jusqu'à la liberté de vivre chère à nos résistants d'il y a 65 ans.
Mais quand j'entends des leaders écologistes français, qui vont se présenter pour recueillir nos suffrages aux prochaines élections, traiter de "négationniste" ceux qui se posent des questions et ne suivent pas aveuglément les croyances réchauffistes, je sens un vent de révolte, de résistance et de liberté qui souffle en moi. On ne me prendra pas comme ça ma liberté de penser ! D'où la question : jusqu'à quel point faudra-t-il abdiquer de notre liberté pour "sauver la planète" ?
Troisième question. Urgence climatique me dit-on. La terre pourrait se réchauffer de 2°, voire plus, d'ici 2050, ce qui serait une catastrophe. En financier habitué à triturer les chiffres, j'ai fait un bête calcul avec la dette publique française. Celle-ci était de 717 milliards fin 2002, de 1017 milliards fin 2008, soit 41,8% d'augmentation, ou 5,1% de croissance par an. Fin 2009, on est à 1060 milliards. Appliquons ce taux de croissance de 5,1%, calculé sur une période moyenne et même plutôt faste économiquement, à une droite qui nous mène à 2050. La dette serait multipliée par un facteur de 7,39 : elle serait à 7833 milliards. En supposant, hypothèse optimiste, que son coût soit de 5%, il conviendrait de payer 391 milliards d'intérêts. Supposons maintenant que les recettes budgétaires, 200 milliards actuellement, augmentent au rythme d'une inflation de 2%, elles s'établiraient à 450 milliards en 2050, soit 59 milliards de plus que les intérêts à payer. Si la dette croît à 6%, et non plus à 5,1%, les intérêts absorberaient la totalité des recettes ! Il ne restera pas grand chose pour financer la lutte contre le réchauffement climatique. D'où la question : l'urgence est-elle climatique ou budgétaire ?
Quatrième question. Je regarde avec beaucoup d'attention le développement de la finance carbone, où toutes les grandes banques d'investissement s'engouffre avec avidité. Voilà en effet une commodity, le carbone, disponible en quantité infinie, dont le prix sera fonction en partie de décisions technocratiques influençables à souhait, qui sera manipulable facilement du fait de l'obscurité des informations et de l'absence de fiabilité des statistiques, qui se prêtera donc à une multiplicité d'arbitrages lucratifs et de prises de position gagnantes. Le carbone va devenir l'eldorado des traders ! D'où la question : les réchauffistes comprennent-ils qu'ils sont en train de se livrer pieds et poings liés aux spéculateurs ?

Dans 10 jours, la conférence de Copenhague aura peut-être accouché d'un accord boiteux. Je vois d'ici les grands titres de nos quotidiens et de nos journaux télévisés : "Copenhague : un accord pour sauver la planète" "Climat : la Terre sera sauvée". A votre avis, qui de Sarkozy, d'Obama ou d'un autre, aura envie d'endosser le rôle christique du sauveur ?

23 novembre 2009

PIMCO et moi


Bien sûr, le titre de mon post est un peu prétentieux. Mais il est quand même agréable de constater que les idées que j'ai développées dans mes récents posts sur le lien entre actions et obligations, ainsi que sur les exit strategies des banques centrales, sont reprises par le grand gestionnaire obligataire PIMCO.
Dans un récent article (daté du 22 octobre et publié dans l'édition de novembre), Paul McCulley, l'un des dirigeants de PIMCO, rappelle en effet que les actions et obligations peuvent évoluer de concert, selon la loi de Gordon, puisque ces 2 instruments sont valorisés par actualisation des flux futurs. Si le taux d'actualisation baisse, la valeur augmente. Là où il y a apparente contradiction, c'est que le prix élevé des actions implique une reprise économique rapide, en V, tandis que le faible taux d'intérêt sur la dette publique signifie que les Banques Centrales vont maintenir les taux d'intervention à un niveau bas, signe d'une croissance en U, qui devrait donc rester anémiée pendant longtemps. L'un des marchés se tromperait-il ?
Et c'est là que la communication des Banques Centrales est essentielle. En effet, tant que les marchés sont convaincus que la politique monétaire expansionniste va durer encore longtemps, alors actions et obligations peuvent être orientées à la hausse, puisque l'on aura à la fois les ingrédients de taux d'intérêt bas, de soutien public à l'économie et d'appétit des investisseurs pour le risque. D'où l'importance du pilotage des anticipations de marché pour la politique monétaire.
La hausse parallèle des marchés risqués et non risqués ne reflète pas une identité de vue sur la reprise économique, mais une identité de vue sur la politique monétaire, et en particulier celle de la FED, et c'est celle-ci qui est actuellement prépondérante sur les marchés.
Et en conséquence, le plus grand risque pour les actions serait que la reprise économique se manifeste plus rapidement que prévu, car cela impliquerait la fin de la croyance dans la politique monétaire expansionniste.
Mais pour le moment, cette forte reprise économique ne me semble pas être dans les tuyaux.
J'aime bien les analyses de PIMCO, et vous en recommande la lecture.

15 novembre 2009

Glass Steagall Act, le retour ?


Il y a 10 ans, les Etats-Unis votaient le Gramm Leach Biley Act, qui abolissait la principale disposition du Gall Steagall Act de 1933, laquelle imposait une stricte séparation entre les banques d'investissement et les banques de dépôt, afin d'éviter que les fonds des déposants ne soient utilisés pour des opérations pour compte propre.
Suite au vote de cette disposition, on a vu se constituer des supermarchés de la finance, dont Citigroup a été l'entreprise emblématique, et n'a échappé à la faillite l'an dernier que grâce au filet de sécurité constitué par le concept de « too big to fail », et donc l'argent du contribuable.
Les débats sont très tendus actuellement sur l'opportunité de réinstaller la séparation nette entre les banques de dépôt et les banques d'investissement, avec de solides arguments de chaque côté.
Curieusement, la discussion n'est pas parvenue jusqu'aux rives de la Seine, où le modèle de banque universelle représentée par la Société Générale et BNP Paribas est loué pour ses capacités de résistance à la crise. On entend bien sûr l'argument habituel qui consiste à dire que les banques doivent faire leur « vrai métier », c'est-à-dire prêter de l'argent et non pas spéculer, mais personne ne propose le démantèlement.
Les deux activités ne sont cependant pas antinomiques, du fait que les bénéfices générés par les rentables activités d'investissement créent des fonds propres bien utiles pour accorder des prêts.
Imaginons en effet que la banque d'investissement ait une rentabilité de 20%, contre 10% pour l'activité retail, ce qui est compatible avec un niveau de risque plus élevé.
Si la banque décide d'allouer la moitié de ses fonds propres à chaque activité, mettons 500 et 500 par exemple, au bout d'un an il y aura 150 de fonds propres supplémentaires, 100 venant de l'activité d'investissement et 50 de l'activité retail. Cette dernière disposera alors de 575 de fonds propres. Si les deux activités étaient séparées, la banque d'investissement aurait 600 de fonds propres, tandis que le retail n'en aurait que 550. Quand la rentabilité est au rendez-vous, l'alliance des deux activités permet donc d'augmenter les capacités de prêt, sous réserve bien entendu que l'allocation de fonds propres ne soit pas modifiée.
S'il y a des pertes, on vient alors accuser la banque d'investissement de réduire les capacités bancaires, du fait que les pertes s'y matérialisent plus rapidement que dans l'autre activité.
Le temps passant, c'est cependant la situation contraire qui se manifeste. On voit ainsi nos banques généralistes afficher de plantureux bénéfices dans leur activité d'investissement, tandis que le retail passe des provisions importantes au titre du « coût du risque », c'est-à-dire des prêts non remboursés.
Lequel des deux modèles, intégré ou séparé, est le plus performant, le plus sûr et le moins sujet au risque systémique ? Bien difficile à dire !
Ce que l'on sait par contre, c'est que la crise financière a éliminé des banques, engendré des concentrations plus ou moins forcées, diminué la concurrence, et que le concept du « too big to fail » a encore de beaux jours devant lui. Sur ce point qui est au coeur du risque systémique, la solution n'a pas été trouvée.

07 novembre 2009

Politique monétaire, exit strategy et communication


Après les réunions cette semaine de la FED, de la BCE et de la BoE, le moment est venu de faire le point sur les politiques monétaires. Chacun commence à réfléchir aux exit strategies, c'est-à-dire aux moyens de mettre fin, le moment venu, aux mesures exceptionnelles mises en oeuvre , avec réussite, pour surmonter la crise financière.
Pour résumer ces mesures, elles ont été de 3 ordres :
1) Une baisse très importante des taux directeurs, taux auxquels les banques commerciales se refinancent auprès de la banque centrale;
2) La possibilité pour les banques commerciales de se refinancer sans limite à ce taux d'intervention auprès des banques centrales;
3) Principalement pour la FED et la BoE (Banque of England), l'achat direct de titres sur le marché, obligations d'Etat, titres privées, titres des agences de refinancement hypothécaire pour la FED.
Quelle exit strategy adopter ? Techniquement, les choses ne sont pas très compliquées : fin des mesures quantitatives, remontée graduelle des taux d'intérêt, l'important étant d'avoir le bon timing. Il importe en effet d'éviter deux risques : celui de freiner la reprise économique en cas d'exit strategy mise en place trop rapidement; ou au contraire celui d'alimenter l'inflation et les bulles d'actifs en cas de retard.
A mon avis, la communication va jouer ici un rôle essentiel. On sait quoi faire, comment le faire, à peu près quand le faire. Mais on ne sait pas comment les marchés réagiront quand les banques centrales passeront à l'action. En particulier, le risque sur les taux longs ne doit pas être sous estimé.
Pour ce qui est des interventions de la catégorie 3), les choses sont à peu près claires. La FED a annoncé qu'elle avait terminé son programme d'achat de 300 milliards de bons du Trésor; les achats de MBS émis par les agences hypothécaires, pour un total de 1250 milliards de $, seront achevés à la fin du premier trimestre 2010, selon le dernier communiqué du FOMC (Federal Open Market Committee). Il n'y a donc pas de surprises à attendre sur ce point.
A propos des mesures quantitatives, la question est de savoir comment faire un passage en douceur entre le financement à guichet ouvert et la restriction.
La BCE a mis en place des opérations de refinancement à 1 an à 1% en juillet, dont j'ai déjà évoqué le succès, ainsi qu'en septembre; une dernière est prévue en décembre.
Du fait que les banques se refinancent sans limite à 1% auprès de la BCE, et qu'elles replacent auprès de la même BCE à 0,25% une partie du cash ainsi obtenu, afin de s'assurer contre tout problème de liquidité, alors le taux au jour le jour sur le marché interbancaire, EONIA, évolue entre ces deux taux. En effet, une banque ne va pas emprunter sur le marché interbancaire à plus de 1% si elle peut avoir des liquidités à ce niveau sans limite auprès de la BCE; de même, une banque ne va prêter à moins de 0,25% si elle peut obtenir cette rémunération auprès de la BCE. Ainsi, l'EONIA est actuellement à 0,33 %, l'EURIBOR 3 mois à 0,71%, le 6 mois à 1%.
Que se passera-t-il quand la BCE décidera d'arrêter de fournir des liquidités sans limite ? En toute logique, l'EONIA devrait repasser au-dessus de 1%, taux d'intervention de la BCE, et les taux EURIBOR remonter également, avec un impact sur toute la courbe des taux. Entre "sans limite" et quantité limitée", il y a une différence de nature, pas seulement de niveau. C'est là qu'une bonne communication pour préparer correctement les marchés sera essentielle, afin d'éviter des hausses brutales sur les taux d'intérêt.
Gardons à l'esprit que les taux long terme sont également très bas. En France, le taux TEC 10, représentatif des emprunts d'Etat à 10 ans, est à 3,60%. En parallèle, les anticipations d'inflation à long terme, telles qu'on peut les lire à partir des rendements des OAT indexées, sont remontées au-dessus de 2%. Ce qui veut dire que le taux réel à long terme, hors inflation est d'environ 1,50%. Lors de l'adjudication du 15 octobre, les OAT indexées sur l'inflation européenne, échéance 2020, ont ainsi été émises avec un rendement de 1,52%; pour l'échéance 2040, le rendement était de 1,72%. Quand on vient justifier le faible niveau des taux long terme par le faible risque d'inflation, on passe à côté du fait que c'est le taux réel qui est bas en réalité; les anticipations d'inflation à long terme sont revenues au niveau qu'elles avaient entre 2005 et début 2008.
Pour ce qui est du niveau des taux directeurs des Banques Centrales, on scrute avec attention chacun des communiqués, pour lire les éventuelles modifications dans les termes employés. Pour le moment, il n'y a pas de modification dans la communication, et les marchés n'envisagent pas de hausse des taux directeurs avant la fin 2010 ou 2011. Les récentes hausses des taux directeurs par les Banques Centrales d'Israël, d'Australie et de la Norvége, décidées chacune dans un contexte spécifique, n'ont pas signalé le début d'un mouvement généralisé.
De même que la crise financière d'il y a un an a été exceptionnelle, de même la fin des mesures prises par les banques centrales pour remédier à cette crise sera aussi une grande nouveauté : la réaction des marchés est toujours difficile à prévoir.

14 octobre 2009

Actions et obligations main dans la main

Il n'y a pas lieu de s'étonner que la hausse du marché actions depuis l'été ait eu lieu conjointement avec la hausse des obligations, le rendement de l'emprunt d'Etat à 10 ans revenant de 4% à 3.50%.
A mon avis, le phénomène est plutôt sain. Il est vrai qu'en période de crise intense, on voit la chûte des actions coïncider avec la montée des obligations, dans un mouvement de fuite vers la qualité parfois spectaculaire, comme on l'a constaté le 19 octobre 1987, ainsi qu'il y a un an. Cette divergence implique alors une très forte remontée de la prime de risque sur les actions.
Dans une évaluation du marché actions faite en actualisant les flux futurs, le taux d'actualisation pertinent est le taux "sans risque" des emprunts d'Etat, plus la prime de risque du marché. Cela veut dire que la hausse conjointe des actions et des obligations se traduit, du côté actions, par la baisse du taux d'actualisation sous l'effet de la baisse du taux sans risque. Si l'on regarde un peu en arrière, on sait que la hausse des actions entre 1995 et 1999 pouvait s'expliquer en grande partie par la réduction des taux obligataires pendant cette période.
Sur les derniers mois, on observe de plus une baisse de la prime de risque, que l'on peut lire par exemple dans les cours des CDS corporate ainsi que dans la diminution de l'indice VIX des volatilités implicites des options, ainsi qu'une amélioration des anticipations de bénéfices.
Baisse du taux sans risque, réduction de la prime de risque, hausse des prévisions de résultats : ces trois éléments se conjuguent pour expliquer le rally actuel sur les actions.
Quant à savoir si l'on ne va pas trop loin dans l'optimisme, ceci est une autre histoire.

06 octobre 2009

Conférence GaveKal


J'ai assisté vendredi à la conférence trimestrielle de GaveKal, le bien connu bureau d'analyse économique et d'asset allocation installé à Hong-Kong, et dirigé par Charles GAVE. Une réflexion très stimulante comme à son habitude.
Le point le plus remarquable est son optimisme. Selon lui, le monde est au début d'une formidable période d'investissements, qui va entrainer une importante création de richesses. Dans un processus très schumpeterien, la destruction créatrice est dans un cycle rapide, ce qui va se traduire par un basculement rapide vers l'Asie et la Chine, au détriment de l'Europe. Rien de nouveau ici, si ce n'est qu'il envisage un avenir assez sombre pour l'Europe et sa monnaie unique : faire financer par l'Allemagne les déficits massifs des pays du sud de l'Europe, déficits qu'ils refuseraient de financer chez eux, lui semble intenable. Mes lecteurs réguliers savent que je partage largement cet avis : développement durable ne peut aller de pair avec déficit exponentiel. L'exemple de la Grèce, où la gauche au pouvoir a préféré se saborder pour abandonner les problèmes à la droite revenue ce dimanche aux affaires, est assez édifiant. L'opinion de GaveKal est que l'achat de CDS sur la dette grecque est une excellente couverture pour un porterfeuille actions...
Autre message intéressant sur la Chine : c'est le développement en cours d'un système bancaire moderne et puissant comme priorité stratégique pour les 15 ans à venir. Ce qui promet un bel avenir pour Hong-Kong, point de passage entre la Chine et l'Occident.
Et dire que je ne suis encore jamais allé en Chine !

01 octobre 2009

Le match Anticipations / Liquidités

Un match serré se joue actuellement sur les marchés, entre les anticipations et les liquidités.
Après 60% de hausse en 6 mois, les marchés se cherchent des raisons de continuer à monter. Le niveau des actions reflète actuellement un scénario implicite de croissance économique qui est loin d'être acquis. Les révisions de résultats vont prochainement, aux Etats-Unis, tenir compte des publications relatives aux 3ème trimestre. Pour le moment, on constate que globalement, les analystes ont cessé de remonter leurs prévisions de résultats sur 2009. L'inflexion que l'on verra dans les 3 prochaines semaines sera donc à regarder de près. Sur un plan plus macro, il est clair que l'activisme du consommateur américain en dernier ressort est un schéma du passé : avec un taux d'épargne qui remonte, des revenus stagnants et un chômage en hausse, le contraire serait étonnant. Par ailleurs, l'éloge de la frugalité est un thème qui devient à la mode : pas de quoi inciter à claquer son argent.
D'un autre côté, les marchés sont abreuvés de liquidités par les banques centrales. La question est donc : dans quoi investir ? Matières premières, crédit, actions, emprunts d'Etat, tout y passe. Et d'autant plus que le dollar est en train de détroner le yen comme monnaie de portage ! Patrick ARTUS développait récemment ce thème des liquidités dans une note de conjoncture. Argument à considérer, sachant cependant que c'est celui qu'on sort quand on n'a rien trouvé d'autre pour expliquer la hausse. Par ailleurs, maintenant que le premier volet de la crise est passé de façon certaine, et que la reprise économique s'amorce, les grandes gestions fondamentales reviennent sur les actions, d'autant plus qu'elles sont très fachées d'avoir en grande partie manqué le train de la hausse depuis 6 mois. Autre point positif : le retour des fusions - acquisitions. Les primes offertes à chaque opération forment un bel adjuvant à la hausse. Et le mouvement qui s'est engagé aux US va peut-être traverser l'Atlantique.
Pas simple donc de choisir son camp. Regardons peut-être les signaux donnés par l'insider trading, qui semble-t-il est plutôt vendeur actuellement sur les marchés américains. D'autre part, les augmentations de capital lancées, comme celle de la BNP, pour profiter de conditions favorables du marché, montrent que la fenêtre ne restera peut-être pas grande ouverte bien longtemps.
+ 2% lundi, - 2% ce jeudi : le match est serré !

30 septembre 2009

Lundi, 14h50

Lundi, 14h50. Comme chaque semaine, l'Agence France Trésor a émis ce 28 septembre
des BTF, Bons à Taux Fixes sur des maturités de 1, 3, 6 et 12 mois, pour un total de 9,2 milliards d'euros. Ce montant a servi, pour presque 9 milliards, à rembourser les BTF venant à échéance ce même jour. Et tous les lundis, l'AFT émet ainsi, en l'espace de 5 minutes, entre 9 et 10 milliards de ces titres de dettes à court terme, dont l'encours est actuellement de 200 milliards. Aucune difficulté pour émettre cette dette : les investisseurs se bousculent, l'Etat ne paye que 0,37% de taux d'intérêt pour les BTF 3 mois. Pour fixer les choses par rapport au budget, rappelons que le total des dépenses en 2009 est de l'ordre de 350 milliards, avec un déficit prévisionnel de 141 milliards, selon la dernière estimation, soit environ 68% de déficit budgétaire. Le Trésor dépense donc environ une trentaine de milliards par mois. D'où la question, très hypothétique : si l'AFT ne peut pas emprunter ses 9 à 10 milliards hebdomadaires pour assurer la trésorerie courante, en combien de temps l'Etat se trouve-t-il en défaut ? Je le répète, la question est très hypothétique car, pour le moment, les investisseurs du monde entier se bousculent pour prêter à la France, même pour une faible rémunération. Mais la question n'est pas théorique : qui aurait imaginé, il y a un an, que les grandes banques seraient dans l'impossibilité de se financer au jour le jour sur le marché interbancaire ? La crise survient toujours là où on ne l'attend pas.
Lundi prochain, 5 octobre, le total des BTF venant à échéance sera de 7,8 milliards. L'AFT viendra sur le marché pour lever entre 9 et 10 milliards. Entre 14h50 et 14h55, mes voeux iront aux investisseurs du monde entier qui viendront acheter, et j'aurai un petit pincement au coeur en espérant que tout se passe bien, comme d'habitude.

14 septembre 2009

99,99%

99,99% des gens ne comprennent rien aux problèmes du système bancaire ni aux éventuelles solutions possibles pour y remédier.
Et je dois humblement reconnaître que je ne pense pas faire partie du 0,01% composant le cercle des savants. Cela étant, je m'abstiens de joindre ma voix aux clameurs des bruyants liberticides qui estiment que la solution aux problèmes passe par l'interdiction de, pêle-mêle : les bonus, les hedge funds, les paradis fiscaux, les ventes à découvert, les produits dérivés, la titrisation, voire la spéculation ! Craignons que ces histrions ne sollicitent Poutine, afin que celui-ci leur loue les sibériens camps de rééducation à régime sévère, où les récalcitrants aux programmes de moralisation de la finance seraient expédiés pour retrouver le droit chemin.
Mais quittons les steppes glacées de l'orient russe, et revenons à nos banques occidentales et à leur incertaine régulation.
Faut-il modifier les règles prudentielles, jeter à bas les modèles internes de Bâle II, renforcer les fonds propres, pour toutes les banques ou pour celles d'importance systémique seulement, obliger à constituer des coussins de provisions en période de vaches grasses, réintroduire un ratio de levier maximum, remettre en vigueur le Glass-Steagall Act afin de séparer les banques commerciales d'avec les banques d'investissement, boucher les trous de régulation, créer une instance de supervision internationale ? Toutes les idées sont sur la table, et quand on lit les multiples contributions et les solutions divergentes proposées, il est clair qu'on est dans le temps de la réflexion, et que celui-ci ne doit pas être escamoté.
Quelques idées simples à garder en tête.
- Lorsque les actifs d'une banque perdent 30 à 50% de leur valeur, il n'y aura jamais assez de fonds propres en face pour éviter la ruine, car les ratios de capital, et c'est heureux, ne seront jamais fixés à ce niveau. C'est heureux car avant qu'une banque puisse lever suffisamment de fonds propres pour en avoir 50%, elle commencera par réduire très fortement la taille de son actif, donc des prêts accordés, au détriment de l'activité économique. Le problème est à l'actif avant d'être au passif.
- Néanmoins, les banques ont besoin de renforcer leurs fonds propres. Pour faire venir de nouveaux actionnaires en promettant une rentabilité structurellement plus faible qu'à la belle époque 2005-2007, il conviendra soit de démontrer que le risque est notoirement plus faible, soit de baisser le prix d'émission des titres. On a coutume de mettre en avant les énormes profits réalisés par les banques ces dernières années. Ce que l'on oublie de rappeler, c'est que les marchés valorisaient ces profits assez faiblement, en terme de PER par exemple, ce qui signifie que leur pérennité ne paraissait pas évidente, alors que le risque qui y était attaché était perçu comme bien présent. Heureusement que les actionnaires sortaient en dividendes une bonne part de ces bénéfices : ils avaient bien compris qu'a contrario, laisser des fonds propres supplémentaires à disposition n'aurait conduit qu'à augmenter le risque.
- Quoiqu'on en pense, le marché sait très bien se discipliner lui-même. Je n'ai pas vu ces derniers temps fleurir beaucoup de titrisations de crédits subprime, notés AAA, et logés dans des conduits hors bilan se refinançant à court terme en émettant des ABCP. Autre exemple, si la rentabilité des fonds propres bancaires est amenée à baisser structurellement, les bonus distribués suivront le même chemin, selon l'équilibre des forces en présence dont j'ai parlé dans mon post précédent. Nul besoin d'instaurer des limites maximum, qui risqueraient d'agir comme des points d'attraction.
Dernier point, on n'échappera pas à une remise en cause des systèmes de gestion des risques, ceux-ci se trouvant au coeur de la banque. Jusqu'où aller sur ce terrain, et en particulier faut-il aussi remettre en question les modèles d'évaluation qui en sont le soubassement théorique? Bien malin qui peut à ce stade y répondre.
Pour ma part, je souhaite que le prochain G20 ne cède pas à la tentation d'afficher des compromis boiteux ou d'exhiber à toute force des résultats pour satisfaire l'opinion publique. Il serait plus sage de dire : réfléchissons, travaillons, prenons le temps qu'il faut.

04 septembre 2009

Profits des banques et bonus des traders


J'ai longtemps hésité avant de donner mon grain de sel et d'écrire un post sur Le Sujet à la mode : les bonus des « traders ». Mettons des guillemets à « traders », car la pratique des bonus ne concerne pas qu'eux, mais plus globalement une bonne partie des opérateurs des banques de financement et d'investissement (BFI ou investment banks).
Je ferai deux remarques, étant entendu que j'épargnerai à mon lecteur la complainte sur la soit-disant 'immoralité' du système.
Tout d'abord, il est assez compliqué de savoir si cette pratique favorise réellement une prise de risque « excessive ». En effet, je ne comprends ce que veut dire ici l'adjectif excessif. Si une banque prend des risques importants, elle doit mettre en face les fonds propres correspondants. Cela veut dire que si le risque pris est considéré comme excessif, c'est que soit le régulateur n'a pas fait son travail, en exigeant de la banque qu'elle ajuste ses fonds propres à due proportion, soit que le risque mesuré n'est pas cohérent avec le risque réellement supporté. Dans ce deuxième cas, comme c'est également le régulateur qui valide les modèles internes de mesure du risque des banques, on en conclut qu'il a également failli. Je ne vois donc pas le lien avec les bonus. Bien entendu, la question des systèmes de mesure des risques se pose avec acuité, et toute crise la replace au centre des débats; voir Mandelbrot, Minsky, Taleb, etc...
Deuxième point, si l'on se demande ce qu'il faut pour faire fonctionner une investment bank, la réponse est simple : du capital et des hommes (et femmes). Le capital permet de prendre les positions et de faire du levier; plus il est important, mieux on se porte. Le capital humain, celui qui part tous les soirs en sortant de la banque, prend les décisions d'investissement. Comme il peut partir définitivement pour aller faire travailler les fonds propres d'une autre banque, lesquels ont la même couleur et la même odeur, il s'agit de faire ce qu'il faut pour le garder. Il y a donc un problème de gouvernance. Les actionnaires d'une banque, qui apportent le capital, sont tentés de garder les profits pour eux, soit en se les distribuant, soit en les laissant en fonds propres dans la banque, en espérant dans ce cas que ces fonds propres supplémentaires génèreront une aussi bonne rentabilité (ajustée du risque). Mais pour cela, ils doivent rémunérer leurs salariés, qui veulent aussi leur part, sachant qu'ils peuvent du jour au lendemain partir ailleurs faire travailler les fonds propres des autres s'ils sont plus généreux. La situation est donc hautement compétitive. Dans ce type de négociation, où il est difficile de dire a priori quelle partie à l'avantage sur l'autre, on peut raisonnablement penser qu'au final le produit sera partagé 50 – 50 entre les deux parties. En observant la répartition chez Goldman Sachs, où les employés sont aussi des actionnaires importants, on s'aperçoit que c'est justement ce partage à égalité du profit qui est globalement mis en oeuvre. Donc l'idée de payer les bonus en actions aurait à mon avis plutôt tendance à pousser les bonus à la hausse.
En conclusion, si vous pensez que limiter les bonus permettra de limiter les risques de crise, vous faites à mon avis une grossière erreur : vous évaluez bien mal le risque.

26 août 2009

Solaire, suite

Merci à Patrick HUBERT pour ses commentaires éclairés de professionnel sur mon post précédent, à propos de l'investissement panneaux solaires. Et merci également à ceux qui laissent des commentaires via ma page Facebook, puisque mon blog y est redirigé.
En ce qui concerne la variabilité de la durée d'ensoleillement, Patrick annonce 3% en annuel. Il convient d'étudier précisément les statistiques, si elles sont disponibles, ce que je n'ai pas encore fait. Intuitivement, si on compare le mois d'août 2007 à Paris avec celui de 2009, j'ai quand même le sentiment que l'écart est de plus de 3%. Mais en moyenne annuelle, il y a peut-être moins de variations.
Concernant les prix de vente à EDF, ceux-ci vont être révisés en 2011, à la baisse, ce qui est compréhensible du fait des gains de productivité. Le nouveau tarif s'appliquera-t-il uniquement aux nouveaux contrats, ou bien concernera-t-il aussi les contrats en cours, voilà un point à vérifier avec attention.
Il est d'ailleurs piquant de constater que le principal exploitant d'énergie solaire sera en 2011, EDF ENERGIES NOUVELLES. Cette société est détenue à 50% par EDF, à 25,1% par son fondateur, le très entreprenant (et maintenant riche !) Pâris MOURATOGLU, le solde étant dans le public. L'intérêt de EDF EN sera de vendre son électricité le plus cher possible, celui d'EDF de l'acheter le moins cher possible : voilà qui nous promet un cas d'école de gestion d'un conflit d'intérêts, mêlant l'intérêt public, celui des investisseurs, le compte d'exploitation de l'exploitant inversement lié à celui de sa filiale à 50%, ainsi que celui du riche dirigeant d'EDF EN., le tout sous l'influence au plus haut niveau du pouvoir politique. On attend avec impatience de connaître la méthodologie employée pour résoudre ce problème, en souhaitant que le régulateur affiche dans ce domaine la transparence la plus totale.

24 juillet 2009

Du cas "Container" à l'investissement Panneaux Solaires

Il y a 25 ans, je terminais mes études de finance du côté de Jouy-en-Josas. Un des problèmes classiques d'évaluation des choix d'investissement était le cas "Container". Il s'agissait d'apprécier la rentabilité d'un investissement dans un container, loué ensuite à un exploitant qui versait un loyer au propriétaire. Comment financer, quels montants de loyers, quelle valeur résiduelle, quel taux d'actualisation, telles étaient les données du problème.
Aujourd'hui, on nous propose d'investir dans des panneaux solaires, et de gagner de l'argent avec le prix de vente de l'électricité, garanti sur longue période par EDF. Certains annoncent 8% de rentabilité, d'autres 20% !
Quand on creuse un peu, on s'aperçoit que le taux annoncé est un taux apparent, rapportant le montant des ventes prévues sur une année à l'investissement. Cela n'a bien sûr rien à voir avec un taux de rendement interne.
Pour calculer ce taux, il convient de modéliser les flux financiers, en montants et dans le temps.
Le prix de vente de l'électricité est garanti aujourd'hui sur 15 ou 20 ans par EDF, mais rien ne dit que ces prix ne seront pas modifiés. La quantité d'électricité produite dépend du taux d'ensoleillement, qui peut varier, ainsi que du rendement des panneaux, dont la qualité peut se dégrader et qui nécessiteront des travaux d'entretien.
Si le vendeur-installateur vous garantit un prix de rachat des panneaux dans 15 ou 20 ans, quelle certitude a-t-on qu'il tienne son engagement; a-t-il une caution bancaire ?
Enfin, quel taux d'actualisation choisir ? Je suggère d'estimer, sur longue période et en fonction des informations disponibles, l'écart-type du taux d'ensoleillement, et de le rapporter à la volatilité du marché actions, afin d'estimer la prime de risque adaptée.
Il est par ailleurs piquant de constater que les technologies vertes rendent à ce point dépendant des aléas climatiques, comme une vulgaire céréale. On a vu par exemple l'an dernier les producteurs d'électricité éolienne lourdement pénalisés par l'absence de vent à l'automne en Allemagne. L'impact sur ces sociétés cotées a été redoutable.
Certains vendeurs proposent de plus des montages fiscaux acrobatiques, en utilisant le statut LMNP. Gageons que l'administration fiscale sera d'autant plus regardante que les investissements vont se multiplier; les exagérations seront lourdement réprimées au titre de l'abus de droit.
En conclusion, il convient de faire preuve de bon sens et de prudence dans la modélisation des flux, d'évaluer le rendement avant tout avantage fiscal, et de comparer les niveaux de risque. Gardons à l'esprit que pour tout investissement, la rentabilité sert en premier lieu à rémunérer le risque.

28 juin 2009

L'emprunt marketing


Aucune intention péjorative dans ce titre. Les questions autour du grand emprunt national, qui sera surnommé emprunt Sarkozy, portent essentiellement sur des thèmes de marketing : comment le vendre, à qui le vendre, quels concurrents, quelles références historiques. En 1993, il y a 16 ans déjà, Edouard Balladur lançait un grand emprunt, dont l'encours dépassa les 100 milliards de francs, plus que prévu. L'aspect plébiscitaire de l'exercice n'est donc pas anodin. L'emprunt Balladur a bénéficié d'un avantage particulier, en ce sens qu'il pouvait être utilisé pour payer les titres de sociétés privatisées, à sa valeur nominale, même quand la valeur de marché était inférieure au pair, sous réserve toutefois d'avoir acquis l'emprunt lors de l'émission. Cela a permis de limiter fortement le montant à rembourser en cash. Plus avant, en 1973, Giscard, peu inspiré, a lancé un emprunt indexé sur l'or, quelques mois avant que l'étalon or disparaisse et que le prix du métal jaune s'envole. L'Etat a remboursé plus de vingt fois le montant initial.
L'argument principal mis en avant à ce jour semble être l'utilisation pour les investissements d'avenir. Idée séduisante, qui vient pourtant contredire le principe général de non affectation des recettes aux dépenses, principe encore réaffirmé dans la LOLF (loi organique de loi de finance ).
Sur le plan concurrentiel par rapport aux autres émissions de l'Etat, la question ne se pose pas vraiment. Il faut bien se rendre compte que l'Etat n'a aucun problème pour emprunter sur les marchés tout ce dont il a besoin pour couvrir le déficit budgétaire et rembourser les emprunts venant à échéance. C'est bien ça le problème, puisque cette facilité à émettre prive l'Etat d'une puissante incitation pour réduire les déficits. J'ai déjà eu l'occasion de traiter ce sujet il y a quelques mois.
A quel taux et sur quelle durée émettre ? Difficile à mon avis d'émettre sur 10 ans, cela reviendrait à faire assumer le remboursement par le successeur de Sarkozy (en supposant qu'il ne se représente pas en 2017). Par ailleurs, une telle durée est bien longue pour un épargnant, qui considérerait de plus que le remboursement est repoussé à un avenir lointain et flou.
Si l'on émet sur 5 ans, il convient de regarder le taux de rendement des OAT échéance octobre 2014 actuellement : 2,91%. Je vois mal comment le Trésor pourrait émettre à un taux significativement supérieur au taux du marché, sauf à 1) ne pas rendre l'emprunt négociable, ce qui semble peu vraisemblable car sans liquidité sur le marché secondaire l'émission ne se placerait pas; 2) faire un cadeau significatif aux épargnants du fait de l'arbitrage qui remettra le prix en ligne avec le marché. Sur 5 ans, la sensibilité est de l'ordre de 4.5, ce qui veut dire que si l'emprunt est émis avec un rendement supérieur de 1% au taux du marché, son cours augmentera rapidement d'environ 4.5% dès la cotation sur le marché secondaire : autant de gagné pour l'investisseur, autant de perdu pour l'Etat.
Faisons donc l'hypothèse d'un emprunt coté, émis au prix du marché, donc avec un taux de 3% environ (niveau actuel, le taux à 5 ans début 2010 sera différent). 3%, c'est plus que le livret A, mais ça ne fait pas beaucoup comme taux facial, si l'on compare aux 6% du Balladur 1993, aux 4.5% que donne EDF, ou aux 4% que promettent encore les fonds en euros de l'assurance-vie, laquelle bénéficie en plus d'un avantage fiscal.
Un emprunt indexé sur l'inflation ? Il aurait un taux facial de 1.5% environ, avec la difficulté d'expliquer le mécanisme d'indexation, qui complique quand même le produit.
Un avantage fiscal ? On entend déjà les accusations de cadeau aux riches, qui seuls peuvent souscrire, alors que les pauvres ont du mal à joindre les deux bouts.
Dernière question : d'où viendra l'argent ? Si c'est de l'épargne supplémentaire au dépens de la consommation, c'est mauvais pour l'activité économique. Si c'est de la réallocation d'actifs, c'est le livret A, donc le financement du logement social, qui en pâtira, ainsi que l'assurance-vie en euros, laquelle investit en grande partie dans des ... emprunts d'Etat !
Décidément, il est bien plus facile de s'endetter directement sur les marchés, auprès des professionnels, plutôt que de rechercher l'approbation et le soutien du peuple.

25 juin 2009

Fin de la crise financière : 1er juillet 2010


Et ce sera de gré ou de force. La Banque Centrale Européenne vient d'allouer, ce 24 juin, plus de 442 milliards d'euros pour sa première opération de refinancement à 1 an, 371 jours exactement, dont le terme est le 1er juillet 2010.
1121 établissements financiers ont répondu à l'appel. En effet, il ne fallait pas se gêner : des liquidités à 1% pendant 1 an, en quantité illimitée, ça vous ragaillardit votre bilan, et vous promet une belle marge sur vos crédits. Dans un an, quand l'argent sera rendu, il faut espérer pour les banques qu'elles auront retrouvé des conditions de financement plus normales. Il semble en effet peu probable que la BCE recommence une opération identique en juillet 2010. Malheur à celles dont les difficultés de refinancement persistent alors. Petit à petit, les modalités de sortie de crise deviennent donc le vrai sujet. C'est d'ailleurs aussi le ton de la FED, dans son récent communiqué : quand va-t-elle tourner dans l'autre sens le robinet à liquidités? On aura l'occasion d'en reparler.

15 juin 2009

La Bande des 4


Les valeurs dites défensives sont-elles une bonne protection lors des baisses des marchés ?
J'ai regardé les performances de la Bande des 4, EDF, GDF-Suez, France Télécom et Vivendi. Ces entreprises ont comme points communs d'avoir une clientèle assez stable, qui paye des abonnements et des consommations essentielles et prévisibles, des barrières à l'entrée importantes et des cash flows très significatifs, lesquels permettent de payer de gros dividendes, même après avoir financé des investissements conséquents. En un mot, ce sont des rentes, au sens actuariel du terme (au moins pour une bonne partie de leur business).
Si on compare les performances de ces titres depuis le début 2009 et depuis 1 an, par rapport au CAC40 qui fait 0% depuis le 1er janvier et -31% sur un an, on a les résultats suivants, guère reluisants :
Vivendi : -27% et -34%
GDF-Suez : -26% et -38%
France Télécom : -20% et -14%
EDF : -18% et -45%
En fait, ces titres ont baissé avec l'indice, dont ils représentent d'ailleurs une part significative, et n'ont pas remonté depuis 3 mois.
On peut trouver 2 raisons principales. D'une part, lorsque l'appétit pour le risque revient, les valeurs qui n'en offrent pas beaucoup sont comparativement moins intéressantes. D'autre part, la remontée des taux longs observée ces derniers temps a mécaniquement réduit la valeur de la rente.
Une troisième cause, plus nouvelle, mérite à mon avis d'être signalée. Ces entreprises ont pour point commun d'évoluer dans un environnement très règlementé. C'est peu dire qu'une des conséquences de la crise est de légitimer l'appétit de règlementation de la puissance publique. Ainsi soumis plus qu'avant à l'abitraire règlementaire, lequel est hautement imprévisible, l'évaluation de la bande des 4 nécessite la prise en compte de ce risque supplémentaire, bien difficile à pricer. Les cash-flows ne sont plus si prévisibles, et leur risque de variation est impossible à modéliser.
Que restera-t-il de nos plantureux dividendes, une fois passé le laminoir de la règlementation ?

12 juin 2009

Inflation, suite

Sur le sujet de l'inflation, j'ai lu avec attention l'intervention de Stanley FISCHER, Gouverneur de la Banque d'Israël, à la conférence des régulateurs boursiers (IOSCO), qui s'est tenue à Tel-Aviv cette semaine. Le propos est plus que clair.

"Central banks will have to withdraw excess liquidity pumped into financial systems to prevent an inflationary bubble", Bank of Israel Governor Stanley Fischer said Wednesday at the International Organization of Securities Commissions conference in Tel Aviv.
"Whether or not these concerns about inflation become reality depends primarily on central banks and their willingness to raise interest rates and withdraw liquidity from the system as the recovery gets under way and inflationary risks increase," he said. "In some cases this will have to be done sooner, in others later."
"This conference takes place in the wake of the most challenging crisis, many would say," Fischer said. "But I would say we have been experiencing the most frightening crisis since the Great Depression.
"Due mainly to unprecedented actions by the US Federal Reserve, in particular, and central banks, in general, the financial situation was first stabilized and has now begun to return to a more normal functioning. Now we have reached the point when central banks will need to start withdrawing the liquidity pumped into the financial system in the wake of the Lehman Brothers collapse to prevent what everyone worries about: a rise in inflation and another bubble." (Source : Jerusalem Post).
A noter que Stanley FISCHER a été le directeur de thèse d'un certain Ben BERNANKE, lorsque celui-ci préparait son doctorat. A mon avis, son avis reflète donc bien une préoccupation partagée des gouverneurs de banques centrales.

08 juin 2009

L'inflation au détour du chemin ?




J'ai pris soin de mettre un gros point d'interrogation à la question. Alors que les indices d'inflation sont actuellement proches de 0, que les Banques Centrales maintiennent leurs taux d'intervention à des niveaux également proches de 0, il peut sembler audacieux de reparler d'inflation. Quelques indices montrent pourtant que les marchés, moins myopes que ce que l'on imagine, intègrent à nouveau ce risque.

La crise financière, dans son caractère systémique, est bien finie. Mais le flot de liquidités déversé de façon ininterrompu par les Banques Centrales donnent plutôt l'impression d'un barrage rompu : on finance à guichet ouvert, sans limite. A lire les discours de Bernanke comme de Trichet, on voit bien que le souci des modalités de sortie de crise commence à les hanter. L'addiction à l'argent gratuit et sans limite a un effet euphorisant qu'il conviendra de stopper, sous peine de contrôle anti dopage violent.

Quel est l'avis des marchés sur l'inflation future ? Il suffit de regarder le point mort d'inflation, c'est-à-dire la différence entre le rendement des obligations d'Etat classiques et celui de celles indexées sur l'inflation. Cet écart nous donne justement l'inflation anticipée sur longue période.
Sur ce graphique publié par l'Agence France Trésor, on voit que le point mort d'inflation à 20 ans est remonté à 2,5% début juin, soit le niveau qui prévalait il y a exactement 1 an, quand le pétrole valait 120 dollars, et que la BCE augmentait son taux directeur à 4,25%, à contre-temps de l'activité économique. Ce chart est vraiment très instructif. Sur les 2 courbes rose et rouge, qui montrent l'inflation anticipée à 20-25 ans sur les indices des prix français et européen, on voit la remarquable stabilité entre 2 et 2,5%, de 2005 jusqu'au début de 2008, preuve du bon ancrage des anticipations d'inflation à long terme, pour reprendre le jargon BCE. Après le creux à 1,3% de décembre 2008, au plus fort de la crise financière, cet écart est remonté régulièrement pour retrouver le niveau de 2,5% atteint à l'été dernier. Mais que fait donc Trichet ?!
La remontée des taux longs s'explique en partie par le nouvel appétit pour le risque, qui fait que les investisseurs sortent des actifs les plus sûrs et liquides, bons du Trésor, pour racheter du risque : actions, crédit corporate. J'ai déjà parlé de ce mouvement d'asset allocation.
Remarquons également que, aux USA, le rendement du T-bonds 10 ans est passé de 2% en décembre 2008 à 4% maintenant, et que l'écart avec le 30 ans est actuellement de 75 pb. Ceci alors que la FED intervient directement sur le marché des taux longs.
Il serait mal venu de contester les politiques de soutien au marché et à l'économie qui ont été mises en place depuis 8 mois, avec leurs conséquences budgétaires. Mais de même que la crise a été exceptionnelle, la méthode de sortie de crise est également terra incognita. Il me semble que c'est ce que les marchés sont en train de nous dire.

07 juin 2009

2 lectures





Si vous cherchez quelques bonnes lectures pour vos vacances, blackberry débranché et loin du tumulte des marchés, je recommande 2 livres, aux antipodes l'un de l'autre.
Commençons par réfléchir sur la théorie du comportement des marchés, en lisant "Une approche fractale des marchés", de Benoit MANDELBROT, aux editions Odile Jacob.
Chacun a constaté que la théorie classique de la finance, fondée sur l'hypothèse de normalité des variations de cours, supposées suivre une courbe de Gauss, ne correspondait pas à la réalité, en particulier parce que l'occurence des krachs est beaucoup plus fréquente que la théorie l'envisage. Le mathématicien Benoit MANDELBROT a appliqué aux marchés financiers ses recherches sur les fractales, et tente , en autres choses, de modéliser les risques de krach. Les implications sont importantes, pour l'investisseur dans la gestion de son portefeuille, pour le banquier dans l'évaluation des fonds propres nécessaires à son activité et à la survie de sa banque, et enfin pour le politique et le régulateur qui souhaitent, sinon éviter les krachs, du moins en limiter les effets trop négatifs. Le livre se lit facilement, même si l'on n'est pas très fort en maths, les équations et autres formules étant placées dans les notes annexes, non indispensables à la compréhension générale.
Après la réflexion avec la théorie, passons à la détente avec la réalité. Dans Citiboy, Geraint ANDERSON raconte 12 années de la vie d'un analyste financier à Londres, de 1995 à 2007, depuis ses débuts presque par hasard dans une banque londonienne jusqu'à son apogée comme star de son métier. Ambiance drug, sex and rock 'n roll, la réalité dépasse ce que vous imaginiez. Présenté sous forme autobiographique, avec la description dans chaque chapitre d'un personnage différent rencontré dans sa carrière, le récit est vraiment hilarant, et nous fait vivre le quotidien de la City. Bien sûr, les traits sont forcés et les personnages caricaturaux dans leurs outrances, mais l'analyse des marchés et de la psychologie des intervenants est très juste. Publié en anglais, vous ferez de grands progrès en gros mots, insultes et jurons de toutes sortes dans la langue de Shakespeare. Une traduction française devrait être publiée prochainement, et si un film en est tiré, je ne le manquerai pas.
Bonnes lectures !

11 mai 2009

Le coût du risque

Ces 2 mois de hausse interrompue des indices boursiers révèlent une nouvelle appréciation du risque par les marchés. Le pire n'étant jamais certain, les marchés ont pris le parti de jouer la reprise.
Quelques indicateurs montrent un nouvel appétit pour le risque.
Tout d'abord, la volatilité implicite des options a nettement baissé. Cet indicateur est le VIX, calculé par le CBOE sur les options sur l'indice SP500 à Chicago; son équivalent parisien est le VCAC, calculé par Euronext-LIFFE sur les options sur l'indice CAC 40. Il mesure la volatilité implicite des options à parité, ou proche de la parité, pour différentes échéances, c'est-à-dire le niveau de volatilité utilisé par le marché pour aboutir au prix coté des options, selon la formule standard d'évaluation de Black-Scholes. Classiquement, la volatilité implicite augmente très fortement dans les périodes de baisse brutale, et a tendance à diminuer quand le marché remonte. Au plus fort du krach en octobre, le VIX a atteint 88, pour redescendre vers 40-45 en début d'année. Il est maintenant revenu sous 35. Plus il est élevé, plus le coût des couvertures est cher. Rappelons cependant qu'au début 2007, le VIX s'établissait entre 10 et 15. La situation actuelle est donc loin d'être normalisée.
Deuxième indicateur, le prix des CDS, credit default swaps, sur les obligations d'entreprises. L'indice Itraxx crossover, qui mesure les CDS sur les obligations européennes de bonne qualité, s'est fortement détendu en avril, passant de 950 au plus haut à 750. Là aussi, cela nous montre que le coût de la protection contre le risque de défaut des obligations corporate a quitté les niveaux extrêmes qu'il avait atteint en début d'année, sans revenir pour autant, et de loin, aux niveaux qui prévalaient avant la crise.
Dernier point, la remontée des taux des emprunts d'Etat, le T-bond 10 ans US offrant maintenant un rendement de 3,30% alors qu'il avait frôlé 2% en décembre 2008, témoigne que le risque de déflation s'atténue, et que les marchés commencent tranquillement à prendre en compte les tensions inflationnistes qui ne manqueront pas de se produire au sortir de la récession.
Pour reprendre l'expression de Ben Bernanke, les bourgeons de la reprise font leur apparition. Plus précisément, le rythme de la récession diminue : c'est pour le moment le degré 2 de l'activité économique, le moment 2, qui montre des signes d'amélioration : ce n'est pas encore la reprise, même si les marchés y croient, certainement à raison.
Si l'on regarde les profits opérationnels anticipés sur les 12 mois à venir pour les entreprises du SP500, tels qu'ils sont compilés par Edward Yardeni, on voit en effet que la tendance est toujours à la baisse, avec une pente cependant plus réduite. En l'espace de 18 mois, le niveau de résultat anticipé du SP500 est quand même passé de 130 au point haut d'octobre 2007, à presque 60 maintenant. En terme de valorisation, cela veut dire que depuis 2 mois, le PER du marché US est remonté de 9,5 à 14, soit presque le niveau qui prévalait avant la crise.
L'optimisme du marché ces dernières semaines s'est manifesté par sa tendance à réagir positivement aux bonnes nouvelles, et à rester indifférent aux mauvaises, ce qui est un signe très clair d'un retournement de la psychologie des opérateurs. Les comparaisons avec la période identique de 2003 sont fréquentes : en 2003 le marché avait remonté fortement, après le déclenchement de la guerre d'Irak, sans faire de retracement significatif. La différence en 2009 est que les anticipations de résultat des entreprises sont toujours baissières, et que la récession est bien installée.
Il y a 2 ans à la même époque, j'écrivais un post qui expliquait que le risque avait disparu, en fait qu'il n'était plus valorisé par le marché. Aujourd'hui, on a quitté les niveaux extrêmes du début de l'année, mais le risque coûte encore cher. Cela a du sens : écoutons ce que nous disent les marchés sur le prix du risque. Il convient de se garder du retour de l'optimisme béat, surtout après 8 semaines de hausse ininterrompue des indices boursiers.

30 mars 2009

Systemic

Systemic est le mot important de la crise financière, et certainement une des clés pour travailler à la sortie de crise.
Que signifie que la crise a eu un caractère systémique ? Deux points importants peuvent être identifiés. Tout d'abord, le risque que la défaillance d'un établissement financier puisse entraîner dans sa chute de nombreux autres établissements, du fait de la taille de son bilan et des nombreuses contreparties impliquées. Ainsi, les autorités américaines ont considéré que la défaillance de AIG aurait eu un caractère systémique, et qu'il ne fallait donc pas la laisser se produire. Inversement, la faillite de Lehman n'a pas été considérée comme telle, à tort ou à raison. De fait, aucune banque n'a fait défaut suite à la défaillance de Lehman; par contre, on a observé la fermeture du marché du crédit interbancaire, ce qui a représenté le deuxième aspect du caractère systémique de la crise : le marché ne fonctionne plus.
Il ne s'agit pas d'une absence de régulation : la crise s'est développée sur les segments peu réglementés, ainsi que sur les marchés très réglementés. Mais remarquons que la réglementation n'adresse pas les risques extrêmes. Pour les institutions financières, les exigences de fonds propres sont calculées par des mesures de risques fondées sur la VaR, Value at Risk, donc sur une probabilité de perte calculée statistiquement sur des conditions normales de marchés. Dans les situations de krach, on observe à la fois 3 facteurs qui se conjuguent : 1) une variation des cours d'une ampleur extrêmement peu probable, de l'ordre de 6 à 10 écart-types habituels, ce qui correspond à une probabilité inférieure à 1 sur 1 million; 2) une très forte hausse des volatilités, à relier au point précédent; 3) une recorrélation des actifs, qui fait que la diversification perd de son intérêt. Point supplémentaire, l'absence de liquidité sur les marchés, voire la fermeture complète de certains marchés. Dans ces conditions, la VaR explose à la hausse, donc les exigences de fonds propres, avec comme première conséquence la nécessité absolue de clôture immédiate des positions.
Que faire pour remédier à ce type de risque, qui jusqu'à maintenant n'avait pas été réellement envisagée ? Les réflexions et les travaux sont en cours, et ce sera l'un des enjeux du sommet du G20 à Londres dans quelques jours.
Les professeurs de finance de la New York University ont publié récemment un travail important à ce sujet, dont vous pouvez lire un résumé ici.
Par ailleurs, le secrétaire au Trésor Tim Geithner a présenté le 26 mars devant la Chambre des Représentants les grandes lignes de son plan, qui va être la base des propositions américaines au sommet du G20.
Parmi les points à retenir, notons la création d'une structure de régulation dédiée spécifiquement à l'identification et à la surveillance des risques systémiques, au niveau des marchés comme des grandes institutions financières; puis l'émergence d'une norme obligeant à faire des provisions pour l'hiver, c'est-à-dire mettre de côté des fonds propres supplémentaires quand les marchés sont peu exigeants, de façon à pouvoir les utiliser quand les conditions deviennent adverses.
Politiquement, observons que c'est le plan américain qui est annoncé, qui est destiné à être appliqué aux Etats-Unis, et qui va servir de base aux discussions du G20. La coordination internationale se fera à partir de ce plan. Les propositions européennes ou françaises sont plus discrètes. On ne parle chez nous que de faire la 8ème réforme des stocks options en 8 ans, en affirmant comme à chaque fois la nécessité absolue de les « moraliser ». Il est vrai qu'il est plus facile et plus porteur politiquement de dénoncer les hauts revenus que d'expliquer ce qu'est le risque systémique et les moyens à mettre en oeuvre pour le gérer.

16 mars 2009

Bilan vs compte de résultat

Les récents propos du dirigeant de Citigroup sur la rentabilité de la banque sur les mois de janvier et février ont mis le feu au poudre de la hausse.
Soudain, le marché s'est rendu compte que les banques ne se caractérisaient pas seulement par des actifs pourris, mais aussi par une forte rentabilité opérationnelle.
Celle-ci se comprend aisément, sur l'activité traditionnelle de prêt. Avec une banque centrale qui alloue des liquidités gratuitement en quantité illimité, le coût de financement de la banque diminue fortement. Avec cet argent, la banque prête à ses clients avec une marge de crédit qui a très fortement augmenté : 1ère source de gain. De plus, les taux court terme étant proches de 0, la pentification de la courbe des taux procure une deuxième source de gain, par l'activité de transformation. Le compte de résultat, en instantané, se porte donc très bien, sous réserve bien entendu des provisions qu'il faudra constater si des emprunteurs font défaut. La remontée des spreads suffira-t-elle à compenser la hausse du risque ?
Par ailleurs, sur les activités de marché, on observe depuis le début de l'année une certaine stabilisation avec une baisse des volatilités réelles, tandis que les volatilités implicites, les spreads de crédit et autres indicateurs de risques restent à des niveaux élevés. Pour les banques d'investissement, il n'y a pas pire comme situation que celle où les volatilités implicites courent après la volatilité réelle du marché, comme à l'automne 2008; au contraire, la situation la plus profitable est celle observée actuellement.
Si cela va mieux pour le compte de résultat, le bilan n'est pas encore guéri, et les problèmes ne concernent pas que les actifs pourris.
Prenons le cas d'une entreprise industrielle bien notée, qui en 2007 a émis un emprunt obligataire avec un spread de 100 pb, et simultanément a emprunté auprès de sa banque avec la même marge d'intérêt, sur la même maturité et avec le même coupon.
Aujourd'hui, l'obligation se traite avec un rendement plus élevé de 300 pb, du fait de l'écartement des spreads de crédit. Avec une maturité de 5 ans par exemple, on a une sensibilité d'environ 4, ce qui veut dire que l'obligation a perdu 12 %.
Que doit faire la banque pour la valorisation de son prêt ? En valeur de marché, il n'y a aucune raison, par un simple raisonnement d'arbitrage, qu'il soit valorisé plus que l'emprunt obligataire équivalent. Si la banque veut sortir cet actif de son bilan, elle le vendra 12% de moins que sa valeur bilantielle. Si elle entend le garder jusqu'à l'échéance, il devrait être remboursé sans problème, étant donné la qualité de l'emprunteur. Que faire donc: provisionner ou pas ?
On voit donc qu'en valeur de marché, même des actifs de bonne qualité mériteraient une décote. Avec un ratio de fonds propres de 8%, si l'on provisionne 12% même sur les actifs de bonne qualité, la banque n'a plus de fonds propres. Et que dire alors pour les actifs de moins bonne qualité qui ont perdu la moitié de leur valeur. Et pourtant son activité quotidienne peut être hautement rentable !
On n'a pas fini de se poser des questions sur la valeur des banques.

Le début de la fin ?

La reprise des marchés cette semaine a eu pour catalyseur les propos du patron de Citigroup, affirmant la rentabilité de la banque depuis le début de l'année.
Après une chute de plus de 50% des grands indices, on peut en effet se demander si l'on ne s'approche pas du début de la fin de la baisse.
Je regarde régulièrement un indicateur publié par Edward Yardeni : indicateur très simple qui suit l'évolution du résultat opérationnel anticipé sur l'année à venir pour les composants du SP500, les 500 plus grandes entreprises américaines.
Cet indicateur est remis à jour toutes les semaines, avec les révisions des prévisions des analystes financiers. Il est calculé sur l'année à venir, en faisant la moyenne pondérée par le temps des prévisions pour les années 2009 et 2010 actuellement.
La lecture de la courbe nous montre que le point haut a été atteint en octobre 2007, et qu'il coïncide avec le top du marché. Le brutal décrochage de septembre 2008 est à rapprocher du krach des marchés depuis cette période.
Si les anticipations de bénéfice continuent à baisser, on voit mal ce qui ferait remonter les marchés, sauf à avoir une forte hausse des PER. La hausse des PER ne pourrait être motivée que par une diminution de la prime de risque des marchés actions; l'évolution des spreads de crédit nous montre que cette prime de risque ne diminue pas.
Par contre, pour la première fois depuis 6 mois, la courbe des anticipations de résultats semble se stabiliser. Si cela se confirme dans les semaines à venir, alors l'élément fondamental de la baisse des cours sera à son terme. Dans ce cas, on s'approche du début de la fin de la baisse.

13 janvier 2009

J'en ai !

J'en ai ! Quelle classe ! Je fais partie, modestement, de l'élite qui a pu investir chez Madoff ! Au travers d'un fonds de fonds dont je détiens quelques parts, je suis investisseur dans la Sicav Luxalpha, qui a investi dans la pyramide de Madoff. Heureusement que mon exposition est très faible, ça me permet de prendre la chose avec un peu de recul.

Ce superbe Ponzi à 50 milliards m'inspire 3 réflexions.
1° Quel a été l'impact sur les marchés de l'annonce de ces 50 milliards de dollars envolés en fumée ? Impact nul, les marchés n'en ont pas tenu compte. Il n'y avait en effet aucun risque systémique, peu de pertes dans le système bancaire, l'essentiel des dégâts étant concentré chez les investisseurs finaux. Comme me le disait benoîtement le gérant d'une Sicav d'un grand établissement financier, chez qui je faisais il y a quelque temps une formation sur les options : "de toute façon, c'est toujours le client qui perd ..."

2° On remet en cause les faiblesses de la réglementation, et l'incompétence de la SEC. Cela ne concerne pas Luxalpha, sicav luxembourgeoise soumise à la réglementation européenne, gérée jusqu'à la veille de l'annonce de la fraude (mais oui, la veille !) par UBS Luxembourg, qui en est aussi le dépositaire et le valorisateur. Lors du colloque de la semaine dernière sur le nouveau capitalisme, on a entendu beaucoup de formules creuses de la part de nos dirigeants, ainsi que des incantations à une nouvelle réglementation. Et si l'on commençait par appliquer la réglementation existante ? On va voir si UBS est, dans les faits, responsable des actifs dont elle était dépositaire, responsable de la sicav dans laquelle les investisseurs ont investi en toute bonne foi, pensant que leur argent resterait dans les comptes de la banque. Que les actifs perdent de la valeur, c'est le risque de tout investisseur, qui l'assume. Que ces actifs quittent les comptes du dépositaire pour partir chez un tiers, sans accord des investisseurs, c'est anormal. Si UBS ne rembourse pas, inutile de parler de nouvelle règlementation, ce ne sera pas crédible.

3° La pyramide de Ponzi, cela veut dire payer les anciens investisseurs avec l'argent apporté par les nouveaux. Tout le monde comprend bien que cela est voué à s'écrouler un jour, car fatalement le montant des nouveaux capitaux sera un jour ou l'autre inférieur au montant nécessaire pour honorer les promesses toujours croissantes faites aux anciens investisseurs. Présentée comme cela, la pyramide de Ponzi peut s'appliquer aux passifs de la même façon qu'aux actifs. Quand les 2/3 des nouveaux emprunts émis par un Etat servent à rembourser les emprunts venant à échéance, et que cette proportion augmente régulièrement avec la croissance de l'endettement, on peut à juste titre frémir. La dette publique est la plus belle des pyramides de Ponzi.