14 octobre 2014

A fond sur les autoroutes !

Prenons deux entreprises qui font toutes les deux le même bénéfice d'exploitation de 40.
La première doit consentir un investissement de 1000 pour réaliser 100 de chiffre d'affaires et donc un résultat de 40; la deuxième affiche 1000 de chiffre d'affaires avec un investissement de 100, toujours pour le même résultat de 40.
Quelle est la plus rentable ? Ca dépend par rapport à quoi !
La première affiche une confortable rentabilité d'exploitation de 40%, mais un maigre 4% de rendement des capitaux investis. C'est l'opposé pour la deuxième, avec 4% seulement de marge d'exploitation, mais 40% de rentabilité des capitaux investis.
Ami investisseur, entre l'une ou l'autre, ton cœur (et ton portefeuille) balance …
Et les conclusions de ton raisonnement ne seront pas les mêmes selon que tu es apporteur de capitaux en fonds propres ou en dette, et selon la structure financière de l'entreprise, plus ou moins endettée.
Le modèle économique de la première, c'est la concession autoroutière, tandis que celui de la seconde est plutôt une entreprise de distribution ou de construction.
Justement, un grand groupe français, VINCI, combine le modèle de la concession et celui de la construction.
Plongeons-nous à la page 32 du rapport annuel 2013 de VINCI.
Le chiffre d'affaires de Vinci Autoroutes est de 4596 M€, pour un résultat opérationnel de 2031 M€, soit 44,2%. Haro sur les bénéfices plantureux des autoroutes ! Quelques lignes plus bas, on apprend cependant que les capitaux engagés sont de 22840 M€, dégageant donc une rentabilité de 8,9%.
Pour sa part, le pôle Vinci Construction réalise un CA de 16775 M€, et un résultat opérationnel de 680 M€, soit une marge de 4,1%, dix fois plus faible que celle des autoroutes. Mais les capitaux engagés sont négatifs de 450 M€, avec même un excédent financier de 2167 M€, alors que le pôle autoroutes supporte un endettement net de 15387 M€, soit 3 ans et demi de CA. Bravo nos entreprises de construction, qui équipent notre pays en beaux bâtiments publics et multiples rond-points !
Les deux modèles économiques sont opposés.
Les autoroutes nécessitent un coût d'achat de la concession, et des investissements lourds qui vont dégager des flux réguliers pendant une longue période, avec un faible risque opérationnel. De son côté, la construction a besoin de peu d'investissements; elle facture et constate sa marge à l'avancement des travaux, après avoir perçu un acompte au lancement du chantier. De plus, elle paye ses sous-traitants avec des délais d'autant plus longs que les chantiers sont sources d'interminables litiges, générant des retenues à proportion. Le besoin en fonds de roulement est donc négatif : le cycle d'exploitation génère du cash pour l'entreprise, d'où l'excédent financier et les capitaux investis négatifs. Mais quelles difficultés pour bien planifier un chantier complexe, et ne pas voir les coûts, ainsi que les provisions, s'envoler !
Les risques sont également différents. Pour les autoroutes, la gestion financière est essentielle : si le coût de la dette diminue, le résultat financier s'en trouve amélioré. Remarquons donc que les profits des sociétés d'autoroutes bénéficient amplement du bas niveau des taux d'intérêt de la BCE, laquelle contribue ainsi, outre aux bénéfices des sociétés autoroutières, à la relance bienvenue de l'activité. Le deuxième risque est règlementaire : quelles sont les conditions d'exploitation de la concession, et les contraintes qui y sont attachées ? Enfin, le CA est étroitement corrélé à l'activité économique : transports professionnels et déplacements privés.
Pour la construction, il convient d'abord de décrocher les contrats, donc de savoir bien répondre aux appels d'offre. Puis le risque d'exécution est primordial, une fois qu'on a obtenu le contrat.
En alliant ces modèles opposés, VINCI arbitre les risques. Cette belle entreprise française est un leader mondial.
Tout va bien jusqu'au jour où, en s'appuyant sur un raisonnement erroné fondé uniquement sur la rentabilité d'exploitation, la puissance publique envisage de bafouer les contrats signés en remettant en cause les conditions des concessions autoroutières. Les investisseurs ont vite intégré le risque lié à l'arbitraire de l'Etat : le titre Vinci a perdu 25% depuis son plus haut du mois de juin.
Le plus piquant de l'histoire, c'est que pendant que la sémillante ministre de l'écologie jette à la vindicte publique les profits des autoroutes et envisage de violer la signature de l'Etat, l'entreprenant ministre de l'économie affirme qu'il faut investir dans les infrastructures pour relancer la croissance, tandis que l'austère ministre des finances soutient qu'il ne faut plus augmenter l'endettement.
Suggérons à Jean TIROLE, notre nouveau prix Nobel d'économie, de réunir ces trois brillants ministres pour leur expliquer ses sujets de recherche préférés, ceux pour lesquels il vient d'obtenir son prix, et qui s'appliquent si bien aux autoroutes !

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